Ça vous est arrivé, un départ catastrophique ? Nous, oui.
La veille du départ, tout était prêt, réglé, empaqueté. On filait léger vers la Sicile, chacun son sac en cabine, un seul sac en soute. Tout était paré. Le décollage est prévu à 6h15. Donc on règle le réveil à 4h du matin.
Le réveil a sonné. On s’est préparé, et on est monté dans la voiture. Au début, je n’ai pas vraiment réagi quand LN annonce « Mais, on est en retard ! ». Je pensais qu’elle plaisantait, ou qu’elle dramatisait un peu.
En fait, non. On était déjà super en retard. Impossible de comprendre pourquoi. De toute manière, impossible de réfléchir trop. Si on veut notre vol, il va falloir remiser le cerveau et la prudence. Je sais où sont les radars entre chez nous et l’aéroport. Alors on fonce.
J’ai dû faire des pointes à plus de 150 km/h entre Aix et Marignane. Je n’en suis pas très fier, mais ça nous a sans doute permis de rattraper un peu notre retard. Un peu. Espérons, en tout cas1.
Arrivés dans la zone de l’aéroport, il faut localiser le parking loué. Et, comme un fait exprès, c’est le 5. Le plus éloigné de notre terminal. On se gare, on vide le coffre et on se met à courir, à travers parkings vides, allées vaguement indiquées et zones en travaux2. On finit par débouler dans le terminal AM2. Une petite file attend devant le seul guichet d’enregistrement ouvert. Un agent de l’aéroport me demande quel vol on prend. Je lui réponds qu’on va à Catane. Il me montre la file. Ouf, j’ai eu peur de me tromper.
On reprend notre souffle. Devant nous, plusieurs familles. Ça fait un paquet de monde et de bagages. Je regarde l’horloge puis l’heure de fermeture des portes. Il nous reste 15 minutes, à peu près. J’essaye de déstresser, mais je n’y arrive pas. LN, de son côté, fulmine.
Ça finit par être notre tour. À notre incompréhension, nous passons l’enregistrement en quelques secondes alors que ceux devant nous nous ont donné l’impression de trainer comme des paresseux sous calmants.
On largue le bagage et on se rue dans la file pour le contrôle. Bon. On ne se rue pas longtemps, la queue est grande et n’avance pas. Là, honnêtement, je me suis dit que c’était mort. Il devait rester moins de 10 minutes. Jamais on n’atteindrait les portes à temps. Dociles, mais avec les aiguilles tapant dans le rouge, on piétine jusqu’à pouvoir se saisir des plateaux où on entasse nos possessions ; sacs, vestes, ceintures, appareil photo, smartphones, billets, cartes d’identité, patience…
Enfin passés. À moitié en train de courir, on se ratiffe au mieux, tout en cherchant le numéro du couloir devant nous amener –peut-être– à la porte d’embarquement. Un agent de sécurité3, levant à peine les yeux vers nous et n’interrompant même pas sa discussion avec quelqu’un d’autre, lève un bras pour nous indiquer le couloir. Le temps de jeter un merci essoufflé qu’on se rue dans le couloir étrangement désert.
Tandis qu’on parcourt le long couloir en essayant de ne rien perdre des affaires qui sont passées au contrôle, on entend l’annonce qu’on ne pensait jamais avoir à entendre un jour :
« Pour le vol à destination de Catane, Sicile, dernier appel pour les passagers… », et une courte liste de quelques noms, dont… les nôtres.
J’arrive devant le guichet d’embarquement en marmonnant en réponse à l’annonce « Oui, oui ! On est là ! On arrive ! Bordemerdalors ! ». Deux hôtesses sont encore là. Je me rue en tendant à la plus proche mon billet et ma carte d’identité. Je lui dis également que ma compagne arrive, donnant son nom pour aller plus vite. Tandis que l’une scanne mon titre, que LN arrive à son tour, j’entends l’autre en conversation au talkie, et j’entends les mots « …fermeture… …portes… ». Je re-panique. « Quoi ? Ils ont déjà fermé les portes ? » pleurniché-je. « Non, ne vous inquiétez pas. Vous pouvez monter. » me dit l’aimable agente. LN ayant elle aussi passé le contrôle, on nous oriente vers le passage.
On se retrouve sur le tarmac, toujours trottinant, à suivre le chemin marqué de cônes et de rubans jusqu’à un avion aux armes de… Air Malta.
Quoi que fucking what???
Devant nous, un jeune homme se retourne vers nous, et nous rassure immédiatement, en nous expliquant que nonnon, c’est bien l’avion pour Catane. C’est un Air Malta, mais c’est bien le vol Ryanair.
Bon, OK. Pourquoi pas. À ce stade, tant qu’on monte dans un avion, on est contents. Et puis, Malte c’est chouette aussi, sans doute.
Bref, on grimpe à bord, on trouve rapidement nos places. On s’installe, on souffle, on se regarde, on re-souffle. Purée… finalement, on va arriver à aller en Sicile, finalement.
15 à 20 minutes plus tard, l’avion roule vers la piste. Et, on décolle. Contre toute attente, en fait.
Deux heures plus tard, après un atterrissage un peu brutal, notre avion se gare au terminal A de l’aéroport de Catania, en Sicile. Vol sans histoire où on a lu, regardé le paysage, somnolé, dormi.
Débarquer à Catania est vécu comme un soulagement. Le terminal n’est pas très grand, et on trouve rapidement le guichet Hertz où l’on doit récupérer notre voiture de location. Il y a un peu d’attente due aux clients devant nous qui –tout italiens qu’ils sont– semblent poser quelques difficultés à l’employé.
À notre tour. L’aimable loueur se montre accueillant, affable et très clair. La location est expédiée rapidement, émaillée de plaisanteries. Nous avons même droit à choisir entre une Fiat 500 ou une Fiat Panda. L’argument que la 500 se gare plus facilement remporte les suffrages. On n’est que deux, très peu de bagages. On pioche la Cinquecento. Le guichetier nous remet les clés, quelques papiers, et nous indique sur un plan où nous attend notre bolide.
Avant de s’en emparer, on décide de faire une pause café-ptit dej’. On fait donc escale au deuxième café (sur les conseils du loueur). Forcément, on commande notre premier4 véritable cappuccino, accompagné de croissants. Le choix des croissants a été compliqué et parfaitement aléatoire. Là où en France vous trouverez des croissants classiques, canoniques, même, et quelques variantes, à la frangipane par exemple, en Italie, le croissant se décline à à peu près tout ce qu’on peut imaginer ; croissant au sucre, à la crème parfumée à plein de choses, avec des glaçages divers, et même le croissant bigoût, fourré à deux crèmes différent. Ils sont fous, ces Italiens.
Finalement, repus et légèrement caféinés (le cappuccino, c’est le paradis), on s’oriente d’un pas mesuré et décontracté vers le parking où nous attend notre voiture. On la trouve sans peine, blanc destrier tout en rondeurs. Par précaution, je mitraille la voiture sous tous les angles, pour éviter tout litige idiot à la restitution. Puis nous engouffrons nos affaires dans le minuscule coffre5 et nous même dans le minuscule habitat. C’est rigolo, une 500. Après le dépit de constater l’absence de GPS intégré, nous nous interrogeons sur la route à suivre. Normalement, nous devons échouer dans la petite ville côtière de Porto Empedocle. Mais la route est assez longue (environ 2 heures), et la journée ne fait que commencer, alors pourquoi pas faire une escale avant ?
LN farfouille le guide, et tombe sur la Villa Romana, à Piazza Armerina, situé à peu près à mi-chemin. Sur la foi de voir de belles mosaïques antiques, nous décidons que pourquoi pas. Alors en route.
Il me faut quelques poignées de dizaines de minutes pour appréhender à nouveau le style de conduite à l’italienne, que je pourrais résumer par : « Si ça passe, je passe. ». J’applique donc cette maxime de mon point de vue de touriste : « Si tu veux passer, l’ami, passe donc ! » Une fois passés les faubourgs de Catania et sur l’autostrada (ou ce qui en tient lieu), on se sent plus serein. C’est vraiment parti !
Cette première partie de route est plutôt tranquille, et se compose d’une moitié d’autoroute –ou de ce qui en tient lieu– puis de routes de campagne vallonnée.
Notre première impression du paysage, c’est celle d’un pays un peu désolé, un peu pelé. La végétation est rase, rare, et pas l’ombre ni la racine d’un arbre. On se dit que c’est ce côté de l’île qui est comme ça, et qu’à d’autres endroits, ça sera différent. On se rassure comme on peut.
Nous avons aussi vécu notre premier glitch de GPS. Après avoir quitté l’autostrada, alors que nous commencions à serpenter entre les basses collines, le GPS6 nous indiquait une petite demi-heure de route. Quelques poignées de minutes après, alors que je suis persuadé de n’avoir fait que suivre ce qu’il m’indiquait, on a découvert qu’il nous restait encore… plus de 45 minutes.
Malgré les engeances numériques, nous finissons par trouver la petite ville de Piazza Armerina, et une poignée de kilomètres au-delà, le site de la villa du Casale, niché au fond de sa mignonne petite vallée.
On n’a, bien sûr, pas du tout de vue sur ce qu’on est venu visiter. On tique même un peu en arrivant, parce que ce qui accueille en premier le visiteur, c’est un immense parking, puis un véritable petit village touristique fait de chalets qui sont occupés alternativement par des vendeurs de boissons et nourritures et par des vendeurs de touristeries diverses, mais surtout chinoises.
Il faut suivre un petit chemin pour passer enfin le portique d’entrée et découvrir le site. Qui est immense.
La fameuse villa était la maison d’un seigneur romain. Sa construction aurait débuté vers le IIIe siècle et aura été habitée jusqu’en 1160, année durant laquelle elle sera partiellement détruite par un incendie. Abandonnée, elle sera ensuite enfouie sous un glissement de terrain. Elle ne sera redécouverte qu’en 1812. Sa restauration débutera en 1929, et elle est désormais inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1997.
Ce qui est miraculeux et impressionnant, c’est l’état de conservation de l’ensemble du site. Les bains et latrines, zones les moins bien conservées, laissent découvrir l’astuce des ingénieurs romains, à défaut de profiter du peu de mosaïques restantes7.
Et puis, on entre dans la villa proprement dite. J’ai compris après que la superstructure moche qui surplombe l’ensemble des constructions, et qui a le double rôle de protection et de circuit de visite8, remplace en fait la charpente en bois qui terminait la structure de la villa, et qui a brûlé lors de l’incendie au XXe siècle.
Le plan au sol est entier, et quasiment toutes les pièces possèdent encore leurs sols de mosaïques presque entiers et intacts. C’est dont quelques 3500 mètres carrés de splendides décorations qu’on découvre. Des motifs géométriques aux complexités et couleurs impressionnantes, des allégories sur les saisons et récoltes, des divinités diverses, des animaux protecteurs du domaine, un panorama incroyable qui s’étale le long d’un immense couloir transversal et qui décrit la capture et le transport d’animaux africains vers l’Europe9. Bref, c’est vertigineux. Presque trop.
Avant de reprendre notre route, nous faisons un crochet par la ville même de Piazza Armerina, avec l’idée de trouver un truc à grignoter. On tourne un moment dans une ville qui semble endormie, ce qui nous a beaucoup fait penser aux villes grecques au milieu de l’après-midi. Le fait est que nous avons réalisé que –bien qu’étant dans un pays méditerranéen– l’Italie vit à l’heure continentale, voire plus tôt. À 13 heures comme à 19 heures, si vous n’êtes pas dans un lieu ouvertement touristique, vous aurez de la chance de trouver un restaurant encore en service.
Comme, de toute manière, nous avons convenu d’adopter notre rythme gastronomique habituel10, nous trouvons finalement trouvés dans une boulangerie-épicerie-vrac-fourre-tout. On y pioche une sorte de friand à la saucisse, un chausson fourré à l’épinard et aux herbes aromatiques. On complète par deux petites pâtisseries, une bouteille d’eau plate et une autre frizzante11.
Nous déjeunons donc sur la placette très tranquille devant la boutique. C’est là qu’on a constaté un premier glitch local sur lequel je reviendrai plus tard. Sur cette petite place carrée se trouvent deux poubelles publiques assez voyantes12. Il s’agit d’un petit conteneur cylindrique surmonté d’un toit carré divisé en quatre secteurs, chacun d’une couleur différente. Chaque quart représente une sorte de déchet qu’on peut insérer ; papiers, verre, plastique et autres. On comprend vite qu’il s’agit d’une poubelle incitant aux tris des déchets. C’est louable.
Sauf qu’en me penchant pour regarder l’intérieur, je constate un truc idiot : le cylindre contient un seul grand sac poubelle, sans séparation. Quel que soit le côté où vous jetez votre déchet, il tombera dans la poubelle, avec le reste. Rigolo au premier abord, mais triste au final.
Bref. Déjeuné englouti, on repart tranquillement, direction Porto Empedocle.
Habitués des côtes méditerranéennes, qu’elles soient côte d’azuresque, grecque ou minorquine, nous nous faisions une idée assez motivante des bords de mer siciliens. Pour dire, nous avions dans notre unique valise trouvé la place pour un maillot de bain et une serviette chacun13.
Hélas, l’arrivée, puis la traversée de Porto Empedocle n’a de cesse de déverser seau d’eau glacée sur seau d’eau froide sur notre enthousiasme. Là où on attend une petite station balnéaire, une marina, des plages sympas14 et des marchands de glaces tous les dix mètres, on a à la place l’impression de traverser une friche industrielle, puis une banlieue défavorisée, pour arriver sur un front de mer qui serait le télescopage d’une côte normande et d’une plage du Nord, un lundi soir de mois d’octobre15.
Nous garons la voiture, sortons le museau, faisons quelques pas. Puis, nous nous apercevons que nous sonnes parfaitement d’accord ; c’est nul, on se tire.
Nous remontons dans la voiture, et une vingtaine de minutes plus tard, nous cherchons à garer notre minuscule italienne dans les rues serpentines de la ville d’Agrigente.
Notre petite pension est située au bas d’une ruelle piétonne dans le sud-ouest de la vieille ville, qui est déjà bien à flanc de colline. Car Agrigente est bâtie sur l’éminence d’un relief, ce qui lui donne de loin une allure assez marrante de bâtiments ramassés et blottis les uns contre les autres, comme des pingouins sur un bout de banquise.
Notre Bed & Breakfast16 est chouette, et notre hôtesse s’efforce avec joie de nous parler français. L’intérieur est très cosy, et la chambre parfaite. Seul bémol : la jonglerie nécessaire lorsqu’on manœuvre la porte d’entrée pour éviter de laisser filer le chat dans la rue.
Après une halte bienvenue dans un endroit qui nous est infiniment plus accueillant que Porto Empedocle17, le temps de poser des affaires, et de se rafraichir un peu, nous repartons explorer un peu cette ville qui ne cesse à certains moments de me faire penser à un décor de film de Sylvain Chomet.
Notre charmante hôtesse nous a également recommandé deux restaurants ; un qui se veut gastronomique, le Ruga Reali, et une pizzeria un peu plus loin en ville, le Gambrinus. Étant donné que le Ruga Reali est le plus proche, on opte pour celui-ci.
Et, ça a été une merveilleuse surprise. L’accueil très sympathique, un menu quasiment gastronomique à des prix raisonnables, accompagnés d’un vin blanc local qui nous a fait forte impression, à la fois minéral et beurré. Il a accompagné à merveille les plats que nous avons commandé ; un petit poulpe entier extrêmement fondant avec une sorte de crème de pois chiche aux agrumes et aux herbes, puis une seiche grillée et une spécialité de pâtes à la sicilienne, avec des fruits de mer et des pistaches concassées.
Bref, là-dessus, il était temps d’aller dormir. La journée, comme ce compte-rendu, est déjà très longue.
Score Fit : 10.081 pas
Si vous lisez cela, et que vous voyez qu’il s’agit du jour 1. Si vous partez également du principe que je ne suis pas si tordu que ça, vous vous doutez déjà qu’on l’a eu, notre vol…↩︎
Y a-t-il eu un moment où j’ai vu cet aéroport autrement qu’en travaux ? Je ne crois pas…↩︎
Nous a-t-il semblé, mais on n’a aucune certitude. Il portait une sorte d’uniforme, mais honnêtement, vous m’en voudriez, dans ces circonstances, de n’avoir pas été attentif ? Et puis, comme on dit souvent entre nous : « On s’en fout ».↩︎
Premier d’une longue série.↩︎
Mais, mine de rien, largement suffisant.↩︎
Gouggle Maps. Si mieux, je prends. Non, pas Waze.↩︎
On a trouvé dommage que les bains ne soient pas plus accessibles. Visibles que de trois angles très proches, il est regrettable qu’on ne puisse pas les admirer d’un peu plus haut, l’essentiel des mosaïques du bain principal ne font que se deviner.↩︎
Et qui, là, permet justement de contempler l’intérieur des pièces depuis la hauteur des murs.↩︎
Alors que tous les animaux représentés avec force détails sont tous réels, la présence parmi eux d’un griffon pourrait trouver à nourrir quelques théories du complot.↩︎
Nous déjeunons traditionnellement d’un pique-nique relativement frugal, et nous dinons au restaurant.↩︎
pétillante en italien. Mais, entre nous, j’adore imaginer qu’une eau puisse être frisante. Vraiment.↩︎
Mais on les a retrouvés partout dans l’île.↩︎
Spoiler : ça ne servira jamais.↩︎
Quitte à ce qu’elles soient quadrillées de sunbeds et de parasols à louer.↩︎
Le lieu avait la faculté de paraitre gris nuageux, même en plein soleil…↩︎
Mais sans breakfast, je ne sais pour quelle raison.↩︎
Oui, on est un peu rancuniers.↩︎