Or donc, j’étais bien tranquille chez mes parents. C’était un matin, très tôt. Je pense qu’il devait être 5 heures du matin, peux être plus tôt encore. Une voix me réveille. Quelqu’un est en train de crier. Du fond de ma chambre et de mon demi-sommeil, ça ressemble à des ordres, ou comme si quelqu’un en interpellait un autre. Comme ça dure, je commence à trouver un peu abusé de faire autant de bruit si tôt. J’ai même l’impulsion de me lever et d’aller dire au type de penser que des gens essayent de dormir.
Puis j’entends un énorme bruit, sec, un peu métallique. Ma première hypothèse, c’est un accident de la route. Comme l’autre type continue à gueuler, je bascule sur « Ils chargent un camion et ils ont fait tomber un gros truc ».
Je ne pouvais pas être plus loin de la vérité.
Vers 6 h 30, je réémerge1. j’ouvre les volets de ma chambre et aperçois, après le carrefour qui fait le coin de la maison de mes parents, un uniforme bleu. « Abadidon ! me dis-je fort heureusement à moi seul. Ils sont venus expliquer au tapeur nocturne quelques éléments de politesse de voisinage, donc. » Et, comme je suis vraiment quelqu’un de malveillant, je me dis que je vais y ajouter mon grain de sable. Je sors donc à la rencontre de la force de l’ordre.
C’est en approchant que j’ai commencé à me douter d’un truc. Le monsieur n’est pas policier, mais gendarme, déjà2. Mais, surtout, il porte un gilet pare-balle et une mitraillette contre son torse.
Néanmoins, il m’accueille avec courtoisie, et me demande ce que je lui veux. J’explique la manière peu agréable avec laquelle j’ai été réveillé, et lui parle du gros bruit. Il me répond ceci :
— Oui, c’était une détonation. Tout va bien, c’est sous contrôle3. Rentrez chez vous, s’il vous plaît.
Je retourne vers la maison, où mes parents se tiennent sur le pas de la porte. Alors que je me retourne vers le carrefour en leur résumant l’histoire, je vois le gendarme me faire des gestes et me crier : « Rentrez chez vous. À l’intérieur ! »
Abadidon, il rigole pas. Mais j’obéis.
Bon. On se fait un p’tit café que je vais boire dehors, dans le jardin. De là, derrière la haie de troènes, je vois arriver trois monospaces de la gendarmerie. Et, de chaque véhicule, descendent une demi-douzaine de gendarmes en tenue complète ; tenue bleu foncé, casque antiémeute, gilet pare-balle et mitraillette à la main. Impressionnant. Et un peu inquiétant.
Tandis que la troupe s’équipe, je capte des bribes de conversations dans lesquelles je finis par comprendre que, quelque part dans la rue perpendiculaire, un forcené retient une femme, son bébé et un chien4. Je retourne partager l’info avec mes parents qui — faute de savoir quelle maison est le centre de cette attention matinale — spéculent sur qui est concerné.
Quelque temps plus tard5, toujours du jardin6, nous voyons arriver une ambulance suivie d’un camion incendie des pompiers.
La rue commence à bien se remplir, mais rien ne semble se passer. La troupe7 d’assaut des gendarmes n’est plus visible, à part ce qui semble être une coordinatrice et un « négociateur » comme c’est marqué en gros au dos de son gilet pare-balle. Gilet que — hormis les pompiers — tout le monde porte.
Un peu après, c’est au tour d’une camionnette d’intervention d’urgence du gaz, suivie d’une autre de l’électricité qui vient se garer sur le terre-plein en face de la maison. Tout ce petit monde est briefé par la coordinatrice avant de faire comme tout le monde : attendre et regarder.
Et puis, c’est à peu près une heure plus tard que nous voyons arriver dans la rue douze camionnettes banalisées qui se garent où elles peuvent8, la plupart devant chez nous. En débarquent des hommes habillés de pantalons et de t-shirts marron. Au dos de leurs t-shirts est imprimé un blason compliqué dans lequel je repère vite quatre lettres qui impressionnent immédiatement : G.I.G.N. Abadidon !
Ce sera la dernière photo que je prendrais avant de me faire arrêter et interroger par une cellule de contre-espionnage qu’un gendarme9 m’ordonne avec une fermeté mesurée d’arrêter mon travail de paparazzi amateur.
Je n’ai pas le fantasme de l’uniforme ni la passion des forces armées ou des armes à feu, loin de là. Mais je dois le reconnaître, voir le G.I.G.N. débarquer, monter un Q.G. en quelques minutes, s’équiper avec du matériel qui ne ferait pas tache dans le jeu Cyberpunk 2077, sortir un drone10, une plaque à explosifs pour faire sauter une porte, et se dispatcher avec les gendarmes déjà présents, ben… c’est vraiment impressionnant.
La suite de l’histoire va être un peu expédiée, mais peut-être une demi-heure plus tard, tout ce petit monde revient vers son véhicule respectif en se congratulant. L’opération est terminée.
Je n’ai que très peu de détails sur ce qui s’est passé. Ce que j’ai appris, c’est que l’homme a très vite libéré sa femme et sa fille11, avant de finalement se rendre en fin de matinée.
Durant tout le reste de la journée, alors que tous les uniformes avaient quitté les lieux sauf deux voitures de gendarmerie garée devant la maison du drame, l’entrée du lotissement est restée filtrée par des gendarmes qui ne laissaient entrer que les résidents, en précisant que la rue incriminée restait interdite.
Tout ça pour ça. Mais on a vécu une matinée étrange et un peu fictionnelle, quand même.
Et surtout, avec ironie, je me dis que Marseille, avec sa réputation, est bien plus tranquille — de mon point de vue — que cette petite commune paumée dans les Hauts-de-France…
Le P’tit Quinquin, Coincoin et les z’hinumains, L’Empire… et sans doute d’autres productions12 ont deux points communs : ce sont des œuvres du réalisateur Bruno Dumont, et elles ont été tournées (en grande partie) à Audreselles.
Après avoir regardé la suite du P’tit Quinquin, et sachant que j’allais passer quelques jours dans le Nord, j’ai regardé où exactement se trouvait ce petit village que Dumont apprécie tant. Et comme j’ai constaté que ça ne se trouvait pas à plus d’une heure de route de mon camp de base, j’ai ajouté une visite des lieux à ma todo-liste13.
Audresselles, in situ
Ainsi donc, armé de ma sœur, mon beau-frère, ma nièce et sa pièce rapportée, nous sommes allés rendre une visite de courtoisie à Audreselles.
Bilan : c’est exactement-mais-pas-tout-à-fait comme je m’y attendais. L’entrée se fait face à l’église que j’ai tout de suite reconnue. J’ai également (en tout cas je le pense) reconnu la cour de ferme où se passe le final de Coincoin14. Le front de mer est, lui, exactement comme Dumont aime le montrer, avec ses gros rochers plats couverts de varech et de moules, qui donnent un air insolite au lieu.
Je n’ai pas vu le camping qui doit se trouver complètement ailleurs ni le bunker que Dumont utilise plusieurs fois. Je pense cependant l’avoir vu en partant en direction du cap Griz Nez. Si c’est bien lui, on m’a expliqué que c’était en fait un musée.
Ce à quoi je m’attendais un peu, mais clairement pas autant, c’est à quel point Audresselles est un lieu touristique, à son échelle. La longue plage est noire de monde dès qu’on s’éloigne des rochers15, et le centre se partage entre terrasses de bars, restaurants et gîtes touristiques.
Néanmoins, on y a passé un très bon moment, et j’y retournerai avec plaisir, même s’il y a peu de chances que l’occasion se présente.
J’ai eu hier ma première prérentrée, à Ynov, durant laquelle on a pu enfin découvrir le nouveau campus, même pas encore terminé. C’est assez impressionnant. J’imagine que d’ici janvier, date de mon premier cours, tout sera fonctionnel.
Je vais enchainer la semaine prochaine avec des tas de réunions dans les deux autres écoles. Et dans 15 jours, on réattaque sur les chaperons de roux.
Et c’est tant mieux, parce que mon compte en banque ne s’est pas remis de mes congés…
Allez, je vous laisse, j’ai une fournée de savons à préparer.
On se quitte ici, on se retrouve là-bas !
Oui, je ne sais pas comment, mais j’ai réussi à dormir un peu.↩︎
La ville de mes parents est petite, et en fait ne possède qu’une gendarmerie, pas de commissariat de police.↩︎
La suite prouve que c’était un doux euphémisme.↩︎
« (…) de type bull-terrier. » est-il précisé.↩︎
Peut-être une heure ou deux après. J’avoue ne pas avoir minuté les événements.↩︎
Pour le moment, je n’ose plus sortir devant, le premier gendarme rencontré m’a de nouveau demandé de sagement rester chez nous.↩︎
J’ai grossièrement compté une vingtaine d’hommes.↩︎
On nous demandera même, avec gentillesse, si l’une d’elle peut se garer dans l’allée du garage.↩︎
Par le même, un autre que le premier.↩︎
En tenue militaire, lui aussi.↩︎
Ainsi que le brave toutou que j’ai pu accidentellement croiser assez près pour lui faire une gratouille.↩︎
Oui, je pense à toi, étrange et douloureusement interminable biopic de Jeanne d’Arc.↩︎
Qui est constituée traditionnellement des éléments suivants : manger un welsh, manger une carbonade, manger une fricadelle, manger un potjevleesch, manger des frites, boire de la bière belge.↩︎
Je l’ai bien vue lorsqu’on est arrivé, le portail étant ouvert. Malheureusement, en repartant, alors que je pensais pouvoir la prendre en photo, le portail avait été refermé.↩︎
Faut dire que l’eau semblait aussi accueillante qu’en Grèce. Merci le dérèglement climatique… Hum…↩︎