J’ai mis un peu de temps à me décider à écrire sur Tron l’Héritage. Alors même que pour les deux derniers ratages de Tim Burton, la moutarde m’était montée au nez assez vite, autant là j’ai dû attendre d’avoir digéré et discuté de ce que j’avais vu avant d’en faire le bilan.
Il est donc temps, comme le titre le dit, de déboguer Tron et son héritage.
Pour mémoire, le premier Tron réalisé en 1982 par Steven Lisberger et produit par Walt Disney, fut en son temps un ovni. Vouloir raconter la vie et la lutte de Programmes au sein de circuits d’ordinateurs à une époque même où l’informatique domestique en est encore à ses balbutiements réservés à quelques protogeeks et à l’aide d’une technologie pré-numérique relevait d’une gageur particulièrement corsée.
Le résultat, après un laborieux travail de post-production tant au niveau des effets filmiques (chaque plan avec acteur avait été repeint à la main image par image pour le coloriser et lui donner le fameux effet “néon”) que pour la partie images de synthèse, complètement inédite à l’époque, le résultat donc fut une catastrophe.
Trop en avance sur son temps, traitant de choses que les gens allaient prendre comme argent comptant dix ans plus tard, le film ne dût son status de film culte que pas mal d’années après sa sortie.
Il était donc inattendu –tout au moins pour moi– que Disney se décidâ à se lancer dans une suite. Lisberger n’était plus aux commandes mais restait producteur exécutif, et les deux protagonistes d’alors ; Jeff Bridges qui jouait Flynn et Clu et Bruce Boxleitner qui jouait Alan Bradley et Tron avaient tous deux acceptés de rempiler.
Et, bien entendu, la foire aux effets numériques actuelle permettait toutes les fantaisies, même celle de permettre à Jeff Bridges de se faire dé-vieillir numériquement afin de pouvoir donner vie à un Clu qui n’avait pas changé de tête depuis les années 80.
Pour ce qui est du scénario, je n’ai que peu de reproches à faire ; On ne peut pas dire que le premier bénéficiait d’une écriture fantastique. Les deux histoires sont assez linéaires et j’oserai dire que si la fin de Tron 2 était purement téléphonée, celle du premier était carrément bâclée1.
Ca n’est pas non plus à propos des effets que j’ai beaucoup à dire. Clu est quasiment parfait, les combats aux disques et à motos sont bluffants et rafraîchissent admirablement ce que le précédent avait déjà rendu inédit.
Il y a peut être juste à dire sur le fait que le film est en 3D. Je ne parle pas des images de synthèses, mais de cette mode assez inutile qui consiste à se voir imposer le port de lunettes ridicules pour voir en relief le film. Là où cet effet peut être bien utilisé (Avatar pour ne pas le citer), dans Tron il est inexistant. Bizarrement, à l’ouverture du film on nous prévient que certaines scènes (c’est-à-dire celles où nous sommes dans la réalité) sont volontairement en 2D. Donc à priori lorsque nous sommes dans le monde virtuel, dans la Grille, le film passe en relief. Las, on ne le ressent guère. J’aimerai donc bientôt le revoir en “vrai” 2D de bout en bout, histoire de le voir dans de meilleures conditions…
Non, là où le film m’a fortement déçu, c’est au travers d’une foultitude de petits détails qui m’ont au final laissé penser que les auteurs n’ont d’abord pas vu ou pas compris le premier film, et ensuite qu’ils n’avaient jamais touché un ordinateur de leur vie.
L’étrange paradoxe de Tron et sa suite est assez amusant ; le premier expliquait des choses que les gens ne comprenaient pas parce qu’ils n’avaient pas encore d’ordinateur chez eux, le second fait fi de tout ce qu’un environnement informatique propose ou impose comme fantaisie à travers un monde virtuel. C’est un comble !
Suivant une liste non exhaustive :
À chaque fois qu’un véhicule –surtout volant— freine ou se pose, il soulève des volutes de poussière. Dans un monde numérique censé être parfait. Incompréhensible, ou –pour paraphraser le MCP : “Does not compute…”
On y trouve un bar / boite de nuit et on y boit et mange. Quel intérêt (surtout narratif puisque ça ne sert à aucun moment l’histoire) de montrer les personnages en train de manger.
Et qui plus est, ils ne mangent pas de choses étranges (c’aurait pu être des briques de lego par exemple) mais bel et bien de la nourriture cuisinée. Et pour en revenir au fameux «Club Fin de Ligne», on se demande bien quel intérêt autre que d’y mettre les Daft Punk il a.
Dans le premier film, on évoque par touches subtiles les vies quotidiennes des programmes, on sent qu’ils ont une organisation sociale, une vie, des tâches, des préoccupations. Là, l’univers social n’est représenté que par des programmes errants, faisant la manche (que mendient-ils au fait ?) et ceux qui perdent leur temps chez Zuse. Belle caricature du déclin social moderne. Si Flynn trouve qu’il a créé l’univers idéal, ça fait peur…
Elle se présente sous la forme d’un petit lac de liquide argenté. Lorsqu’ils en boivent ils se “rechargent”, on voit leurs circuits se mettrent à luire plus intensément. Cette effet a coûté du temps à réalisé avec la technique de l’époque.
Dans l’Héritage, si les verres sont emplis d’un liquide laiteux et luisant, leur absorbtion n’a aucun effet sur les tenues. Raté.
Dans le premier Tron, chaque programme était coloré; en bleu les “neutres” et “gentils”, en rouge les seides du MCP.
Dans l’Héritage, sont en jaunes les forces au pouvoir et en blanc tout le reste. Vous me direz, à part les couleurs c’est la même chose.
Exact. Sauf que dans le premier le code des couleurs (bien plus judicieux) avait son importance; les programmes se reconnaissaient entre eux pusqu’il arrive même à Flynn de se “déguiser” accidentellement en prenant une couleur rouge à un moment.
Dans le second Tron, seul le spectateur semble s’aperçevoir de ce code couleurs qui finalement ne sert strictement à rien. Un néon blanc peut se ballader parmis des gardes jaunes, personne ne s’en préoccupe. Idiot.
Lorsque Flynn, dans le premier film, s’empare d’un Reconnaisseur endommagé, il y découvre un bit
, objet géométrique volant qui ne sait que dire “oui” ou “non” (un bit, quoi !).
J’ai eu la mauvaise joie de voir qu’ils étaient également dans la suite… sous forme de petites statuettes que le vieux Flynn dépose sur la cheminée. Je pense sincèrement qu’ils auraient pu aller beaucoup plus loin en partant du concept des bits, ces octets volages associés à leur programme. Pourquoi ne pas en avoir fait une extention d’un programme, voletant autours de lui et lui servant d’informateur, d’affichage de données ou carrément –pourquoi pas et évolution technologique oblige– un animal de compagnie ?
Non. L’auteur de Tron Legacy, apparement hermétique à tout se qui s’est fait d’innovation informatique depuis 1982 s’est contenté d’en faire des figurines inertes, prersque juste pour dire aux fans du premier «Voyez, j’ai pensé à vous…»
Nous sommes dans un monde numérique, qui, malgré le fait qu’il soit créé à l’intérieur d’un ordinateur par Flynn, semble suivre ses propres règles (cf les Isos). Alors dans ce cas, pourquoi un tir de feu d’artifice est-il aussi réaliste (certes, on y découvre quelques pauvres formes géométriques) et aussi peu numérique ? J’aurais bien vu une explosion de pixels, des boules de feu et autres étincelles colorées mais… cubiques !
Clu s’en débarasse simplement à l’aide de deux-trois grenades qui explosent tout à fait comme dans l’importe quel autre film américain ; une explosion pyrotechnique spectaculaire. Le scénariste ou le réalisateur n’a jamais entendu parler de défragmentation ? D’une commande linux appelée “shred
” qui éradique un programme en le remplissant plusieurs fois de données aléatoires avant de l’effacer bit par bit2. Apparement pas.
Là où un geek technomordu aurait inventé un effet de distortion bizarre, donnant à voir des murs faits de données se tordre dans des géométries improbables avant de fondres en bits se dissolvant, on n’a droit qu’au “badaboum” hollywoodien des plus classiques. Le sel du paradoxe de cette réalisation c’est qu’ils ont tout de même apporté un soin assez particulier à la façon dont les programmes meurent, s’effondrant en petits cubes tout à fait à l’image qu’on peut se faire d’une destruction numérique.
Après avoir revu le premier Tron qui d’un univers fondamentalement monochrome et géométrique avait réussi à donner une atmopshère à la fois poétique et étrange, le second Tron semble n’avoir pas hésité sur ce qu’il devait montrer : un New-York infini, de nuit, entouré d’un désert de roches noires.
Où est passé le chaos de briques et polygones qui représentait les zones franches dans le premier ?
Bref, et pour en arrêter ici (je dois déjà avoir perdu tous mes lecteurs maintenant), une si longue attente pour voir un si fade hommage au premier, c’est vraiment du gâchi. Curieusement, c’est exactement tout ce que ne sait faire Hollywood de nos jours; recycler, affadir.
J’ai lu quelque part que l’auteur de Tron Legacy avait en projet maintenant de remaker un autre ovni cinématographique signé Disney; le Trou Noir (1979). Je me suis dépêché de le récupérer, histoire de revoir un bon film avant qu’il ne passe à l’abattoir…
Allez, il faut au moins que je plagie Philippe Meyer au moins une fois, pour lui dire toute mon admiration ((même si ça n’a aucun rapport avec le présent billet)) : «… le ciel vous tienne en joie !»