Après une très bonne nuit, on a droit à un réveil devant un splendide paysage. Bon, d’accord, on n’est pas face à la mer1, mais quand même, ça claque !
Nous nous sommes levés tôt parce qu’on s’attend à nouveau à des températures proches du point de fusion, et que nous avons décidé d’aller visiter un site archéologique. Donc, histoire d’essayer d’y survivre, on fait un peu la course avec le soleil.
Après un petit déjeuner fait de restes2, nous prenons quelques minutes de route pour les hauteurs de Timpaki, où se trouvent les ruines du palais de Phaistos.
D’ailleurs, à notre arrivée sur place, nous constatons que nous ne sommes pas les seuls à prendre en considération la dangerosité de la canicule. À l’entrée, un panneau avertit les visiteurs qu’à cause des températures actuelles, le site ferme à midi au lieu de la fin d’après-midi, comme c’est l’habitude.
Nous séparant en groupes de deux, nous déambulons sur le site « sans ordre d’idée3 », découvrant petit à petit quel site et quel palais impressionnant ce devait être à l’époque. C’est vraiment impressionnant.
Le lieu, aussi beau soit-il, est aussi connu pour être le lieu où a été découvert le fameux disque éponyme. Bon. On a vu l’endroit exact où il a été retrouvé, et… comment dire ?
Sa fonction est encore mystérieuse, mais selon les dernières recherches, il pourrait en fait s’agir d’une sorte de livre de chant, un guide sous forme de pictogrammes mnémotechniques sur quel chant ou quelle prière faire dans quel ordre. Ça reste une théorie, et à mes yeux elle vaut bien celle d’un proto disque dur…
Mine de rien, alors qu’on termine de faire le tour du site, Hélios a fini de se lever et nous bombarde déjà de ses redoutables feux. Sur une coordination tacite, nous nous retrouvons tous à la terrasse du musée, après avoir commandé des freddos de circonstance et –pour certains– quelques souvenirs. Comme, en ce qui me concerne, un chouette tee-shirt et un pin’s représentant le fameux disque.
Comme on a été efficaces, et qu’il est encore tôt, la suite du programme va de soi : une plage ! Car, après tout, nous sommes là pour enquêter : est-ce que la mer est aussi (anormalement) chaude qu’au nord ?
Du coup, direction la plage de Kommos, près de Kalamàki pour un petit bain salvateur. On y découvre une mer très salée, et un peu agitée. Kaslàntienne4, on s’y rafraîchit suffisamment pour que notre esprit passe du « C’était chouette, Phaisto, quand même ! » à « Bon. Si on trouvait où manger, pour changer ? »
C’est là que l’esprit de Bob Dylan nous a parlé. Il nous a raconté son refuge dans les grottes bordant la plage de Matala. Il fallait qu’on s’y rende, comme une sorte de pèlerinage, même si certains d’entre nous ne sont pas forcément particulièrement fans de Robert Allen Zimmerman. En fait, c’est surtout la curiosité (et la faim, naturellement) qui nous a poussés à aller jeter un œil à Matala.
Matala possède une longue histoire contrariée entre de gentils hippies et des autochtones pas si happy de voir débarquer, dans les années 60, de nombreux envahisseurs chevelus, enfumés et chantants des trucs bizarres. Si vous voulez en savoir plus sur l’histoire des grottes de Matala, je vous propose ce petit lien vers un article qui en parlera mieux que moi. Vous pouvez également écouter la chanson « Carey » de Joni Mitchell, qui a immortalisé cette période et ce lieu.
Le fait est que, bien entendu, on n’a pas trouvé grand-chose d’autre qu’une surexploitation commerciale du souvenir des séjours de Bob Dylan ou Cat Stevens.
Pour nous, Matala se dévoile d’abord par de très grands parkings payants, puis un village de boutiques, bars, restaurants proposant tous la même chose, avant d’arriver devant la plage saturée. Sur le côté droit, la falaise qui surplombe la plage est percée de dizaines de grottes plus ou moins grandes, plus ou moins creusées à la main. C’est le fameux repère des hippies qui fait la célébrité du coin, et qu’on peut visiter contre quelques poignées d’euros5.
Nous, nous étions là pour manger, d’abord. Le reste, on verra après. Donc, nous jetons un œil à la foultitude de tavernas et restaurants « de pêcheur » qui pullule au point de donner l’impression de s’entasser les uns sur les autres, avec des noms aussi inspirés que le « Alexis Zorba », le « Sirtaki » ou l’un des plus engageants : le « Love Eat »…
Après une concertation molle à coup de « Comme vous voulez… », et autres « Tout me va… », nous portons notre choix sur une petite terrasse nichée entre deux gros restaurants, qui nous semble plus calme, vaguement authentique et, ce qui ne gâte rien, porte le nom de « Taverna Eleni ».
C’est très certainement notre plus grave erreur de tout le séjour. Mais, pauvres âmes innocentes, nous ne pouvions le savoir alors…
Ça commence par la commande de bières. Passée au patron une fois en grec, une fois en anglais, il faut retourner deux fois au comptoir pour être sûr que nous allons avoir ce qu’on a demandé pour nous désaltérer6. Puis, nous passons commande ; une koriatiki, une assiette de salade d’aubergine collective, et chacun son plat ; Helene commande des gavros, Valérie un plateau de mezze, Pascal une seiche, et moi une assiette de gyros. Voici le résultat :
Bref, une catastrophe culinaire7 qui aurait peut-être fait tourner casaque Gordon Ramsay lui-même. Valérie n’a pratiquement rien mangé, Helene a nourri un chat de passage qui semble moins délicat que nous sur la qualité de la nourriture8. Seuls Pascal et moi réussissons à ingérer plus que quelques bouchées (et largement partagé à qui n’a pas encore l’appétit coupé), mais on ne peut pas du tout dire qu’on s’est régalés.
Lorsque le patron vient débarrasser, à la question traditionnelle « Everythinq OK? », nous jouons tous les hypocrites de haut niveau, déclinant l’offre de desserts, suppliant pour avoir la note et partir d’ici le plus tôt possible.
La note… Ah, la note… La Taverna Eleni peut se targuer de détenir deux records consécutifs et simultanés ; le repas le plus médiocre qu’il nous a été donné de subir, et –pour ce séjour– la note la plus élevée. Nous nous en sommes presque tirés pour 100€. Encore une fois, à quatre couverts, ça ne semble pas excessif, mais en Grèce, ce prix implique en théorie une table sympa, des produits frais et bien cuisinés et en général une bonne bouteille de vin.
Là, le seul plaisir qu’on peut retirer de cette expérience est de se lever de table et de s’éloigner de là.
Pour tenter de digérer9, nous faisons un petit tour des ruelles derrière la ligne de plage. Ce ne sont que successions de boutiques de bricoles, bordels, zoules, bazars et cochonneries à touriste. Toutes les boutiques se ressemblent et vendent peu ou prou la même chose. Helene et moi finissons cependant par découvrir la présence d’un bac de congélation où s’entassent des tonnes de glaces de toutes sortes.
C’est l’occasion d’accomplir une petite tradition personnelle ; la dégustation d’une glace Mega10. Ces glaces –introuvables en France– sont de cônes tout à fait ordinaires à l’exception qu’ils sont une fois et demie plus volumineux que ceux que nous connaissons. À tel point que le sommet de la glace, en cône torsadé et orné de coulures de chocolat, est protégé par un gobelet de plastique transparent.
C’est notre péché mignon, que nous tâchons de limiter à une glace chacun par séjour.
Nous rejoignons ensuite les amis installés à la terrasse d’un bar un peu chic. Nous y commandons des boissons fraiches, dont une portokalada11 en ce qui me concerne. Et nous chillons un bon moment, affalés dans des fauteuils et canapés accueillants et relaxants, en écoutant un descendant de hippies égrener sa musique, mélange de reggae en grec et de cithare indienne, assis à côté d’une Coccinelle peinturlurée de fleurs qui fait le bonheur des Instagram de touristes de passage.
Lorsque je vais régler la note à l’intérieur, je découvre que le carrousel qui orne le comptoir du bar n’est pas rempli des bricoles clinquantes habituelles, mais offre un assortiment de choses consommables et fumables à base d’herbe-qui-fait-rire. Il y a même des cônes tout préparés, prêts à allumer. Le côté rigolo et subversif est quand même nuancé d’un côté par les prix, de l’autre par le fait qu’il ne s’agit que de CBD. Mais ça reste pittoresque.
Bref. Matala, ça va bien un moment, mais là on sature.
Nous rentrons à notre QG. Chacun y va de ses petites occupations pour finir l’après-midi sans se mettre la pression. On se décrasse, on dessale et dessable les affaires de plage, on fait une petite lessive, on sieste, on lit, on écrit12 et… forcément, on se demande où on va manger ce soir.
Helene, qui est notre contact et porte-parole auprès du propriétaire, plonge dans les méandres de ses conversations avec lui pour y retrouver ses recommandations de bons plans culinaires.
On s’arrête sur la Taverna Acropolis, dont le patron est un ami d’enfance de notre loueur.
Lorsque la soirée est bien avancée et que nous nous sentons frais, dispos, apprêtés et décidés, nous partons à pied vers les ruelles accueillantes et labyrinthiques de Kamilàri. Nous trouvons assez rapidement la taverne, après avoir passé à côté de l’accès à la grande place du village dont l’accès est curieusement barré13.
Malheureusement, nous découvrons avec une déception mêlée à de la frustration que l’Acropolis est plein, qu’on aurait dû réserver et que ce n’est pas vraiment trop la peine d’attendre.
Nous rebroussons chemin et commençons à nous perdre dans les ruelles14 adjacentes à la recherche d’une terrasse ouverte, accueillante, qui sert encore, au calme, et dont la carte peut tenir la promesse d’un repas sympa15.
Pas de bol, aucun établissement ne coche ne serait-ce que la moitié des cases.
Il faut dire que quelque chose a commencé à nous intriguer. Un soir de semaine en plein mois de juillet, même si le village n’est pas un pôle touristique majeur, on trouve quand même étrange qu’il n’y ait si peu d’endroits où échouer.
Nos pas et nos discussions nous mènent sans réfléchir à revenir à la place centrale. Et l’explication s’impose avec l’évidence d’une brique sur un pied ; il y a une fête de village. La place, servant habituellement de parking plus ou moins sauvage, est déserte de voitures. À la place, des rangs de grandes tables, des bancs, des chaises en plastique en occupent l’essentiel de l’espace. D’un côté, près de la cour de l’école, une scène a été dressée, ornée de haut-parleurs et d’instruments de musiques16. De l’autre côté, un comptoir improvisé où attendent les cannettes et bouteilles au frais dans une auge pleine de glaçons, et encore derrière, une cantine éphémère de grillades propre à sortir autant de souvlakia que les convives seront prêts à acheter.
Surpris que nous sommes, nous traversons la place encore déserte, toujours en quête d’un endroit de pitance propre à nous faire oublier le camouflet du midi. Seul un bar donne sur la place. À tout hasard, on lui pose quelques questions ; Oui, c’est bien une fête votive qui se prépare. Non, on ne sert pas à manger, que des mezzes froids. Oui, n’importe qui est invité, faut juste demander à l’un des organisateurs.
L’organisateur, aimablement pointé du doigt, nous accueille avec chaleur, et fait le tour avec nous des tablées (qui commencent doucement à se peupler) avant de nous indiquer une grande tablée encore déserte, pas tout à fait à l’écart, mais à la périphérie de la place. Non pas qu’on soit ostracisés, mais quand même, la fête du village c’est pour le village, alors autant qu’ils aient leurs places à eux.
Nous, on s’en fiche. On est assis, on va boire des bières, manger des brochettes et des frites, et écouter de la musique live. On ne demande rien de mieux.
Finalement, malgré le fait qu’on soit passés à côté du restau qu’on nous avait recommandé, on a passé une chouette soirée, à la fois entre nous et parmi les gens du village. Nous nous sommes régalés de brochettes grillées sur place, de tas de frites bien bonnes, on s’est offert quelques tournées de bière17 et de vin blanc18 et on a même hésité à se payer un flacon de raki. Mais, quand même pas. Mais presque. C’est pour dire si on était en mode fou-fous !
Et puis, alors que la place est encore bien remplie, on se dit que bon quand même, on irait bien se poser à la maison et s’offrir une ronflette réparatrice.
On se replie donc sur notre terrasse d’un calme olympien en comparaison de la fête de village. On a discuté, certains ont grillé une dernière cigarette19, quelques grands verres d’eau bien fraiche. Et, paf, au lit. En route pour la journée suivante.
Mais si on plisse bien les yeux, on en voit un bout tout à gauche.↩︎
Dont quelques kadaïfi et baklavas qui avaient survécus.↩︎
Une formule que j’ai entendue durant mon service militaire (si !) et qu’on a fini par traduire comme ça : « C’est comme vous voulez, mais pas au carré ».↩︎
Qu’à cela ne tienne…↩︎
On ne s’est même pas renseigné sur le prix. Ça n’a motivé personne du groupe, et encore moins après le repas.↩︎
Oui, je sais. La bière ne désaltère pas. On va en parler à chaque fois, vraiment ?↩︎
Seul point positif : les motifs de poissons de la nappe que j’ai trouvé fort jolis et qui ont servi de bandeau titre pour ce journal de voyage…↩︎
J’ose espérer que nous n’avons pas été responsables sans le savoir d’un empoisonnement des chats du coin. Mais le risque est réel.↩︎
Autant gastriquement que moralement.↩︎
On les trouve sous les marques Mega, 4×4 ou, pour cette fois sous l’intitulé Enormous…↩︎
Orangeade, parfois gazeuse, très souvent produite localement. En général, c’est vachement bon, parce que contenant moins de sucre qu’en France. Même un vulgaire Fanta est meilleur là-bas.↩︎
Enfin, moi, j’écris.↩︎
Accès interdit aux voitures, pas aux piétons.↩︎
En fait ce sont bien des rues dans lesquelles on peut circuler en voiture, mais elles semblent si étroites qu’on ne peut s’empêcher d’appeler ça des ruelles.↩︎
Non, mais oui, clairement, le déjeuner reste un traumatisme à vif.↩︎
Les classiques du rébétiko ; des guitares, un bouzouki, un clavier à tout faire.↩︎
Assez quelconque, comme le tout venant de la bière grecque commune, mais pour arroser un repas du soir quand il fait chaud, elle fait le job, et on ne lui demande pas plus. Merci à elle.↩︎
Pareil.↩︎
Je dirais pas qui. Je cafte pas. Je dis juste que c’est pas moi. Ni Helene. Mais je dis pas qui.↩︎