Le Bépo
est –pour faire court– un type de clavier. Tout le monde connait au moins deux types de claviers ; l’Azerty
qui n’est utilisé qu’en France et dans quelques pays d’Europe (Belgique, Portugal avec quelques variantes…) et le Qwerty
, son équivalent dans à peu près tout le reste du monde1.
La disposition de nos claviers actuels est un héritage de la disposition des touches des premières machines à écrire. La disposition en Qwerty
a été inventée pour pallier le problème rencontré sur les premières machines à écrire aux claviers simplement alphabétiques ; les barres des touches se croisaient trop souvent et bloquaient la frappe constamment2.
Sachant que le clavier de machine à écrire date de 1867 et que la disposition de nos claviers n’a pas évolué, cela veut dire que nous utilisons des dispositions de touches vieilles de près d’un siècle et demi !
Nous sommes entourés de machines dont la puissance explose de manière exponentielle, chacune capable à elle seule de rivaliser avec la totalité des supercalculateurs d’il y a à peine dix ans, et nous continuons à dialoguer avec, les programmer même avec un outil dont la conception de base remonte à 145 ans en arrière…
Si on considère que la disposition universelle Qwerty
et son dérivé francophone Azerty
ont été mis au point non pas pour l’ergonomie d’utilisation, mais juste pour pallier un problème d’ordre mécanique, on peut se demander pourquoi nous les utilisons encore alors même que la seule chose qui risque encore de bloquer un clavier actuel serait une tasse de café ou une bouteille de soda renversée dessus.
C’est sur ce constat qu’en 1932, August Dvorak3, pédagogue et professeur en psychologie américain, aidé de son beau-père William Dealey mettent au point la disposition Dvorak
, disposition de clavier plus rationnelle et ergonomique pour écrire en anglais.
Bien que sujette à caution, elle reste encore maintenant une référence en matière d’alternative au Qwerty
4.
Il aura fallu attendre 2003 qu’une discussion sur un forum d’utilisateurs de Dvorak-fr
5 entre gens courageux et militants pour que naisse deux ans plus tard la première version d’une disposition rationnelle, typographique et physiologiquement ergonomique à destination de l’écriture de la langue française6 : le Bépo
.
Pour une histoire et une explication exhaustive de la création du Bépo
, je vous invite à lire l’article sur le Bépo
sur Wikipédia, ainsi que le wiki du site officiel. Je me contenterai pour ma part de vous relater mon expérience personnelle.
Utilisateur de longue date de claviers d’abord Qwerty
(à l’époque nostalgique des machines 8 & 16 bits) puis Azerty
, je suis un autodidacte de la frappe.
Je peux me targuer de taper en Azerty
à une moyenne de 65 à 75 mots par minute, ce qui n’est tout de même pas trop mal. Mais je frappe sans technique ni position des doigts particulière. Et, pendant tout ce temps, j’ignorais totalement ce que pouvait être la position de repos des doigts sur un clavier.
J’avais bien entendu confusément parler d’autres dispositions de claviers (notamment de la Dvorak
), mais je ne voyais pas l’intérêt de changer et je ne comprenais pas pour quel bénéfice perdre énergie et temps à réapprendre à taper au clavier.
Récemment, durant une formation à la programmation en ActionScript 3
, notre formateur a évoqué de manière anecdotique le Dvorak
pour le fait qu’il était plébiscité par nombre de codeurs pour la raison qu’il provoquait moins de fatigue à la frappe. Je m’étais alors promis de jeter un œil à cette chose.
Coïncidence, peu de temps après, un soir vers le mois de mars 2012, un ami de très longue date qui travaille dans l’informatique7 me plope une fenêtre de discussion pour me demander si j’avais déjà entendu parler du « Bépo
». Bien évidemment non, alors je vais voir le site dont il me donne l’adresse…
Après avoir lu la présentation, fouillé le site, constaté que la disposition était installable sur presque tour les OS
actuels et lu ses louanges par de nombreux utilisateurs, j’ai retenu les points suivants qui m’ont permis de me décider :
Azerty
.Bépo
.En résumé, cette disposition réunit trois facteurs très importants à mes yeux : écriture, codage, diminution des risques de TMS8.
Il n’en fallait pas plus pour qu’en un clin d’œil je télécharge le fichier de la disposition et que j’imprime la petite carte aide-mémoire de l’emplacement des touches.
Je ne vous cache pas —et vous vous en doutez bien– que les premiers moments d’exploration de cette nouvelle disposition furent frustrants, éprouvants, fatigants et à la limite du démoralisant ; chercher ses touches, regarder lettre par lettre comment écrire un seul mot… Tout cela n’était pas très motivant. J’avais l’impression d’être un copiste qui allait vouer sa vie à la composition d’un seul ouvrage.
En fouillant le site du Bépo, et particulièrement la page Apprentissage, j’ai découvert qu’il existait de nombreux logiciels d’apprentissage à la frappe. Après avoir lu les avis d’autres utilisateurs sur le forum, ma préférence a été vers le graticiel Klavaro. Outre qu’il est lui aussi multiplateforme, en français (entre autres), il permet d’apprendre très simplement n’importe quelle disposition de clavier.
À part des conseils de positionnement des doigts, Klavaro fournit une série de leçons de frappe en aveugle permettant d’apprendre simplement et rapidement le positionnement des touches.
Le principe est simple ; à partir de la position de repos, le logiciel vous donne une dictée de « mots » aléatoires de cinq lettres. Tout d’abord composés des deux lettres situées sous les indexes (E
et T
pour le Bépo
) puis les majeurs (I
et S
), les annulaires (U
et R
) et les auriculaires (A
et N
). Une fois ces séries réalisées sans trop de fautes (moins de 5 %), la dictée propose des mots composés de lettres de chaque main (AUIE
à gauche puis TSRN
à droite). Enfin, la dictée suivante propose des mots pour les deux mains, et ensuite on passe aux autres rangs en reprenant l’exercice au début.
Les premières leçons peuvent d’abord sembler ridicules et simplistes, mais l’apprentissage se fait par la répétition et lorsque l’on arrive aux leçons mélangeant deux mains sur plusieurs rangs la concentration devient nécessaire et il n’est pas rare de devoir reprendre la leçon une ou deux fois avant d’atteindre la barre des 95 % de précision nécessaire.
Néanmoins, en quelques dizaines de leçons à raison de trois ou quatre par jour (elles sont relativement courtes), la cartographie du nouveau clavier est suffisamment mémorisée pour pouvoir commencer à taper en Bépo
sans trop de frustration.
Il ne me restait plus qu’à m’entraîner sans me décourager. Cet entraînement prit la forme de discussions en direct et de rédactions de mails ; deux domaines où la rapidité n’était pas vitale et la faculté de Windows à pouvoir proposer un clavier différent pour chaque application en service fut très profitable, me permettant ainsi d’avoir les discussions en Bépo
et le reste en Azerty
sans devoir faire une manipulation répétitive à chaque fois.
La difficulté suivante fut de localiser les touches peu usuelles dans l’écriture, mais vitales pour le web ou la programmation ; les $
, #
, "
, %
et autres {}
…
Certaines de ces touches font partie des leçons de Klavaro (mais j’avoue ne pas avoir continué les leçons après avoir appris l’essentiel des touches), mais comme il s’agit de touches que nous n’utilisons tout de même pas à la même fréquence que les lettres de l’alphabet, on n’en mémorise pas l’emplacement avec autant de facilité.
Une solution, qui a eu l’avantage d’être économique, a été de commander des autocollants pour transformer mon clavier Azerty
en Bépo
. Mal renseigné, j’ai commandé un jeu d’autocollants jaunes sur fond transparent chez la « Caverne d’Eabani » pour quelque 5€ frais d’envoi compris. Je les ai reçus très rapidement et j’ai entrepris de les coller sur mon clavier sans fil. J’avais opté pour des autocollants transparents avec l’idée que je pourrais ainsi conserver à la fois l’Azerty et le Bépo en même temps. Las, voici le résultat :
Que des inconvénients : la profusion d’informations rend la lecture confuse (certaines touches portent plus de cinq symboles !) et le plastique rend les touches glissantes. Ce set sera resté collé au clavier moins d’une semaine. Solution peu onéreuse, mais un réel gâchis au final.
Me voilà reparti sur de la frappe en aveugle avec le mémento Bépo
sous les yeux. Curieusement, à l’usage cette solution s’avère tout à fait satisfaisante9.
Il ne me restait qu’une alternative ; continuer la frappe en aveugle sur un clavier « ordinaire » ou m’intéresser aux claviers physiques nativement Bépo
. Le choix sera vite fait.
La société Ceciaa propose un clavier Ergonéo typé Bépo
pour malvoyants10. L’autre fabricant est l’Américain TypeMatrix qui propose des claviers typés Qwerty
, Dvorak
, Bépo
et nu11.
Les claviers TM ont plusieurs caractéristiques particulières :
Je lui ai trouvé tout de même deux inconvénients :
Bépo
, il y a moyen d’organiser des ventes groupées.)Néanmoins, déjà convaincu de l’effet bénéfique de la frappe Bépo
et conscient de l’inconfort de taper sur un clavier peu adapté, j’ai vite pris ma décision.
Après avoir vainement tenté de lancer une vente groupée sur Aix-Marseille, j’ai fini par rejoindre un groupe en cours de commande sur Paris, me disant que j’aurai toujours une occasion de le faire descendre chez moi d’une manière ou d’une autre.
Après quelques mois d’attente13, j’ai finalement pu déballer mon clavier et vérifier si ce que tous les vétérans bépotistes m’ont dit était vrai…
Ma toute première impression : « Mais il est tout petit ! »
Il faut dire que je n’avais pas fait attention au fait qu’il s’agissait d’un clavier compact. L’impression suivante a concerné la Skin ; je ne voyais pas ce que j’allais en faire de cette pellicule bizarre que j’avais commandée sur les conseils insistants des autres participants à la commande. À priori, le clavier seul m’aurait suffi.
Reçu au travail un vendredi midi, j’ai passé mon après-midi à prendre en main ce nouveau clavier. Et je dois dire que grâce à l’expérience de la frappe en aveugle et aux cours sur Klavaro, je l’ai eu en main en quelques minutes seulement.
Au lieu d’être déroutant, l’agencement en grille s’avère vite bien plus confortable que nos désuets claviers en diagonale. Bref, en l’espace de quelques dizaines de minutes mes doigts avaient adopté leur nouveau tapis de jeu et j’étais moi-même convaincu d’avoir fait un investissement intelligent.
Restait cette fameuse Skin… Je me demandai si je n’avais pas commandé ce « truc » pour rien, finalement. Mais une fois à la maison et en week-end, je me suis rappelé avec quel enthousiasme les autres bépotistes parlaient de ces fameuses peaux. Je devais quand même retenter l’expérience.
En commençant par la mettre bien en place, car elle n’est pas vraiment facile à bien positionner lorsqu’on manque de pratique. Il faut également attendre qu’elle « dégonfle » afin que la peau soit bien en contact avec les touches et que tout soit bien positionné.
Alors oui l’adoption de la Skin n’a pas été un coup de foudre comme pour le clavier lui-même, mais sachez que depuis ce fameux week-end elle est en permanence sur le clavier et que les rares moments où elle a été enlevée furent pour montrer le clavier lui-même aux curieux.
J’ai à chaque fois profité pour taper un peu sur le clavier « déshabillé » mais je me suis toujours dépêché de lui remettre sa Skin tant la frappe avec est confortable et précise (la gomme qui constitue la Skin empêche les doigts de glisser).
En regard du confort, de l’ergonomie reposante du clavier TM et de la disposition Bépo
et de l’intelligence de cette nouvelle disposition, je considère qu’il y a un avant et un après Bépo
, et que j’espère me passer à plus ou moins court terme de l’Azerty
14 (chez moi en tout cas, bien que je projette déjà un deuxième achat pour le boulot…). Je pense également que le rapport bénéfices contre apprentissage et investissement penche complètement en faveur de cette disposition.
Je ne peux qu’encourager tout un chacun à tenter l’expérience du Bépo
pour s’en faire une idée (sans aller jusqu’à commander votre clavier, il vous en coûtera au début le téléchargement de la disposition et l’impression de la carte du clavier). Et je pense sincèrement que l’argument principal qu’on oppose généralement à l’expérience, à savoir « Ça prend trop de temps, j’ai pas le courage… » est un simple signe de mauvaise foi et de grosse fainéantise !
Et le reste ne sera que littérature…
Avec différentes variantes.↩︎
Ceux d’entre vous qui ont un jour tapé à la machine savent que ce problème a été plus ou moins résolu, mais pas éliminé.↩︎
Rien à voir avec le compositeur, hein…↩︎
Depuis 2006, une autre disposition plus rationnelle et prenant en compte les caractères de programmation a été mise au point ; la disposition Colemak
.↩︎
Une adaptation francophone de la disposition Dvorak.↩︎
La disposition Bépo a cependant été pensée de manière suffisamment souple afin de pouvoir écrire plus ou moins épisodiquement dans la plupart des langues utilisant l’alphabet latin étendu.↩︎
Je n’ai pas le droit de vous dire pour qui il travaille sinon on vous fera disparaître discrètement…↩︎
Troubles musculo-squelettiques.↩︎
Il existe un autre fabriquant d’autocollants Bépo qui semble être plus intéressant, avec l’inconvénient d’être au Québec : Beaujois.↩︎
Impression des touches en gros caractères. Note future : ce clavier ne semble plus disponible…↩︎
Aucune impression de touche sauf les touches fonctionnelles.↩︎
Clavier + Skin + frais d’expédition, vous en aurez entre 100 et 110€ selon le change.↩︎
La commande a été longue à finaliser et a subi quelques aléas…↩︎
Note du futur : c’est gagné. Bien que sur Windows il est nécessaire à l’installation d’un nouveau système d’avoir un vieux clavier Azerty
sous la main (le Bépo n’est toujours pas encore prévu en natif), depuis ce jour je frappe exclusivement en Bépo, et j’en suis très heureux.↩︎