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La Révélation des Pyramides

Une chronique lecture, ça faisait longtemps, non ?

D’habitude, par le passé, j’ai chroniqué des bouquins que j’ai aimés. Mes choix de lecture étant guidés par des recommandations faites par des gens recommandables, il est rare que je sois tombé sur un livre médiocre. Tout au plus pas inoubliables, mais dont la lecture a au moins été rafraichissante, divertissante à défaut d’être éblouissante.

Or donc, je tombe sur un livre sobrement intitulé Pyramides, écrit par Romain Bennassaya et publié chez Pocket.

L’auteur m’est parfaitement inconnu, mais un rapide tour sur le site de Babelio m’apprend qu’il est déjà l’auteur de quatre autres romans de science-fiction. Je fronce un peu plus les sourcils devant l’ignorance qui est la mienne vis-à-vis de cet auteur français de SF. Benmerdalors ! m’exclamé-je donc en mon for intérieur.

Romain Bennassaya a commencé à être publié chez Critic en 2016 pour un premier roman de Space Opera intitulé Arca. Il a dix ans de moins que moi, ce qui m’agace, et il a une bonne tête, ce qui continue de m’agacer.

Parce que je n’aime pas reprocher des choses aux gens qui me semblent sympas.

Le pitch de ce roman, Pyramides, est le suivant :

En 2182, à bord d’arches géantes, les humains fuient une Terre sur le déclin. Leur destination ? Sinisyys, une autre planète bleue découverte aux confins du système Eridani. Parmi ceux qui rêvent de la rejoindre, Eric et Johanna. Or, après avoir émergé du sommeil cryogénique, ils comprennent qu’ils n’ont pas atteint Sinisyys mais une structure artificielle si grande que l’esprit humain ne réussit même pas à en imaginer les limites. Où sont-ils ? Comment sont-ils arrivés là  ? Eric, Johanna, et les autres colons, parviendront-ils à percer le mystère de l’artéfact labyrinthique puis à faire repartir le Stern III vers sa destination initiale ? Pour cet échantillon d’humanité au bord de l’extinction, débute alors un compte à rebours au final incertain.

Ayant lu ceci, mon sang n’a fait qu’un tour. Immédiatement m’est apparu un titre que j’ai déjà lu deux fois, et qui a imprimé sa marque au fer rouge dans ma mémoire ; Janus d’Alastair Reynolds.

Un roman qui m’a marqué par sa mise en échelle incroyable, démarrant sur des plans serrés d’une petite équipe d’astronautes pour finir à une échelle galactique.

Bref, comment ne pas penser que ce pitch vendait du rêve à la hauteur de Janus ? J’anticipais ma dose d’extraordinaire, mon fix de gigantisme spatial.

Spoiler : la came vendue est en fait de la méthadone coupée à l’eau distillée.

Décortiquons, mes amis…

Ah, et attention :

Globalement, je n’ai pas compris grand-chose à l’intérêt de ce récit. Il part dans beaucoup de directions, mais se contente de les explorer superficiellement, sans jamais aller très loin, à l’image de ce que font les personnages du roman.

Prenons quelques détails…

Le système de cryogénisation, par exemple. Sans parler du nom du produit utilisé, qui n’est pas très inspiré, le principe proposé est le suivant : l’être humain ne peut être en animation suspendue qu’une fois seulement. Pourquoi ? Comment ? Nulle explication donnée.

Ce qui est agaçant, étant donné que le seul médecin (sur 2000 passagers) explique qu’après quelques semaines, rien ne reste des suites du sommeil suspendu. La règle du « on peut s’endormir une seule fois » est arbitraire et sans prétexte scientifique ou médical. D’autant que le fait de contourner la règle devient un enjeu dans la suite de l’histoire.

Autre problème lié à ce sommeil suspendu ; le vaisseau était programmé pour réveiller son équipage après 200 ans de voyage. On apprend vite qu’il s’est écoulé quelque 30.000 ans entre le départ et le réveil. Qu’est-ce qui déclenche ce réveil, finalement ? Aucune idée. Un éclat de scénarium coincé dans un circuit, sans doute.

D’autant qu’on apprend, à peu près au même moment, que toute l’informatique à bord est morte. Je n’arrive pas à imaginer un système de réveil automatisé qui marcherait sans un minimum d’informatique. Peut-être que les « sarcophages1 » sont reliés chacun à une minuterie à ressort ?

On pourrait penser que c’est un détail dans le récit. Malheureusement, c’est tout le problème de ce roman. L’auteur a voulu nous raconter une saga bigger than life qui va taper dans beaucoup de directions ; space opera, mystères extraterrestres, communications avec de nouvelles espèces, chronique sociale, familiale, etc. Trop de etc. d’ailleurs.

Mais, lorsqu’on a déjà plongé ses mirettes et neurones dans ce genre de récit, par exemple le cycle d’Hypérion de Dan Simmons, les œuvres d’Asimov, de Clarke, la trilogie martienne de Robinson, le génial cycle de James S. A. Corey ou les romans de Reynolds déjà cité, et même en allant flirter du côté de Stephenson, on sait qu’à moins d’être un ingénieur en physique nucléaire, on accepte un certain niveau de suspension de notre crédulité. On accepte les explications données par les auteurs pour comprendre comment leurs mondes fonctionnent.

Le problème, ici, c’est que l’auteur met la barre des explications si basse qu’on ne peut s’en satisfaire. Et ça, c’est quand il en donne.

Certaines pirouettes narratives sont du coup inacceptables et frustrantes. Prenons deux exemples.

Le vaisseau qui devait emmener les colons vers leur nouvelle planète, se trouve posé dans un tunnel aux proportions dantesques, recouvert sur des dizaines de mètres d’une sorte de poudre dense qui pourrait faire penser à du régolite.

L’auteur explique que, pendant les premières années, nos naufragés ne bénéficient que de peu de matériel pour mener des analyses ou effectuer des opérations complexes. Si on évacue déjà que c’est une excuse boiteuse, puisqu’on est parti du principe que c’est l’informatique du vaisseau qui a été détruite, on imagine mal qu’il n’y ait pas de quoi piocher dans le matériel destiné à l’établissement de la colonie. Mais, bref.

Avec un petit arrière-goût de deus ex machina, les échoués finissent par posséder des moyens de communications et de traitement des données assez facilement quand on commence vraiment à en avoir besoin, notamment lorsqu’on commence à vouloir explorer les alentours.

D’où vient ce matériel ? Comment a-t-il été conçu ? Aucune idée. On va dire que c’est magique.

Là où je veux en venir, c’est qu’à aucun moment les naufragés ne vont s’intéresser à ce régolite. Tout juste apprend-on qu’ils finissent par s’en servir comme matériau de construction. C’est magique, vous dis-je.

Un autre exemple, vous ai-je promis. Prenons les Jardiniers. Dans le roman, on apprend que durant la période où le vaisseau s’est échoué et où quelque chose, quelque part, a enfin décidé à réveiller son équipage 30.000 ans après, une colonie de pucerons génétiquement modifiés qui était en charge d’entretenir une forêt destinée à alimenter le vaisseau en air respirable, a évolué en insectes bâtisseurs et intelligents.

On va passer sur le principe de la forêt source d’air respirable. On sait maintenant que, si ce principe existe, il prend la forme de bassins d’algues, infiniment plus efficaces que des végétaux de sol. Donc, bref.

Ces Jardiniers finissent par arriver à communiquer avec nos naufragés. Ce sont d’ailleurs les meilleurs personnages, et la meilleure idée du livre. Néanmoins, là encore, l’auteur passe à côté de son sujet.

Les Jardiniers ont bâti une cité. On imagine qu’elle est à leur échelle, mais des humains arrivent à entrer dedans, et jamais n’est décrit qu’ils doivent se baisser ou ramper pour y entrer. D’ailleurs, c’est une grande source de déception ; jamais cette cité ou le mode de vie des insectes ne sont décrits.

D’autant qu’à part bâtir des trucs en torchis, communiquer entre eux2, puis avec les humains en stridulant de manière à imiter la voix, rien n’est donné sur ce qu’ils sont capables de faire. Pas d’histoire de leur civilisation, pas d’info sur une quelconque source d’énergie3, pas de trace d’écriture physique, sans parler d’une quelconque technologie4. Rien.

Comme pour beaucoup d’autres choses dans ce roman, ces personnages, cette idée perdue n’est qu’un outil narratif, juste développé pour les besoins du scénario.

C’est complètement symptomatique d’un des gros problèmes de ce roman : l’absence de curiosité. C’est un phénomène qui transpire de l’auteur à ses personnages. On dirait que rien ne les touche vraiment.

Même l’enjeu qui finit par diviser l’équipage en deux jusqu’à les conduire à la guerre civile ne tient pas. Même si le prétexte de départ est crédible (à quoi allouer le peu de réserve ? L’exploration ou la survie ?), la manière dont il est réfléchi, de manière entièrement binaire, est trop naïf pour embarquer le lecteur.

Ce qui m’amène à la caractérisation des personnages principaux. Qui, pour une population de 2000 personnes, est peu nombreux, au passage. Ce sont des êtres plats, à une dimension seulement. Même si certains évoluent (un peu) au fil de l’histoire, c’est fait de manière binaire. Un jour explorateur passionné et rebelle, le suivant le voit devenir blasé, fatigué, etc. Ils ont globalement le comportement de « On dirait que tu serais le capitaine ! » et « Toi, on dirait que tu serais le méchant, mais en fait à la fin t’es un gentil ! ». Bien entendu, les dialogues sont à l’aune de ces caractérisations. Certains parlent même comme des personnages de théâtre.

Le souci, c’est que sur près de 600 pages, c’est ennuyeux et –surtout– ça empêche un truc tout bête mais fondamentalement incontournable : on ne ressent à aucun moment et pour aucun personnage5 on ne ressent aucun affect. Ou, au pire, cette envie de baffer le personnage en lui hurlant d’arrêter sa crise d’adolescence.

Bref.

Y’aurait encore beaucoup à dire, mais ce serait tirer sur une ambulance en flammes. Et, même si dans un FPS ça serait susceptible de m’amuser, ici ça risque de vite vous ennuyer.

Donc, pour résumer…

Ce roman ne tient quasiment aucune de ses promesses. Je n’ai pas le courage d’essayer de lire d’autres livres du même auteur. Tout juste ai-je envie de replonger pour la 3e fois dans Janus. Ou alors, imaginer ma propre épopée de ce genre6.

Pour finir, et pour définitivement spoiler ce roman –parce qu’il n’y a à la fois pas grand-chose à gâcher, ni à sauver– sachez que vous n’aurez aucune réponse aux grandes énigmes qu’il pose, et que vous n’aurez aucune idée de ce que peuvent bien être ces fameuses pyramides du titre, car elles sont tout simplement absentes de l’histoire…

Je suis quand même navré d’avoir été aussi déçu. La SF française pourrait s’enorgueillir de bonnes histoires de ce genre. Malheureusement, c’est dommage de se contenter de si peu.

Je m’interroge d’ailleurs sur le travail d’édition de Pocket, qui a décidé de publier un récit aussi peu abouti, et livrer une maquette où restent des erreurs de typo et de composition.

Décidément…

Couverture du romanCouverture du roman

Ah, oui… On dit toujours « Il ne faut pas juger un livre à sa couverture », ce que je considère être totalement faut, merci le marketing. Et là vous en avez la preuve, on est quasiment devant un cas de publicité mensongère : rien de ce qui est représenté sur la couverture n’existe dans le livre. C’est méchant.



  1. Une des nombreuses références creuses aux pyramides du titre.↩︎

  2. Ils communiquent, ou tout au moins expriment leurs émotions par un changement de couleurs de leur carapace. Pourquoi ? Visiblement aucune idée de la part de l’auteur puisqu’il est mentionné qu’on soupçonne qu’ils communiquent par phéromones. Là encore, un truc qui est lancé comme ça et qui ne servira à rien…↩︎

  3. Vous imaginez une civilisation se développer sans source d’énergie ? Non, moi non plus…↩︎

  4. On a mis un petit millier d’années à arriver à un stade technologique qui nous permet une communication globale instantanée et des balades dans la proche banlieue spatiale. Les scarabées de Pyramides en sont où en 30.000 d’évolution ? Oui, à peu près au stade du paysan médiéval… En tout cas c’est tout ce qu’on nous en livre.↩︎

  5. Sauf, éventuellement, le capitaine Samuel. À peine.↩︎

  6. Ceux qui me connaissent savent que c’est le genre de concept d’histoire qui me fait kiffer de ouf↩︎

Dans les épisodes précédents… ICO, le roman Mon cher moleskine…
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