Calcul fait1, j’ai 47 ans. Un bout d’âges où, qu’il l’apprécie ou pas, l’humain moyen tombe souvent dans l’introspection dont le titre habituel est : « Bordel, mais qu’ais-je fait de ma vie ? » Étant, jusqu’à preuve du contraire, moi-même en grande partie humain, je ne déroge pas à ce biais.
Cela fait donc quelques mois virgule cinq que je me livre à cet exercice, consciemment ou non, consentant ou non, joyeusement ou… non, jamais joyeusement.
Bref, voici quelques petites miscellanées de ce qui me définit en creux et en frustrations.
Je vous prie de ne pas vous sentir obligés en quoi que ce soit de lire la suite.
J’ai toujours été passionné par l’aviation civile2. J’ai volé sur de petits monomoteurs grâce à ma regrettée tante qui était pilote civile, et j’ai passé des centaines d’heures sur Flight Simulator3.
J’avais même commencé à apprendre le métier de contrôleur aérien sur VatSim avec un véritable ATC militaire à la retraite.
Encore récemment, j’ai brièvement volé avec les dernières versions de FS et de X-Plane. Manque de temps, matériel médiocre4, manque de temps, prix prohibitif des logiciels et, surtout, manque de temps m’ont –encore une fois– fait renoncer à ce loisir.
Mais, plus qu’un loisir, ça a été une envie de carrière pendant longtemps. J’ai toujours rêvé de devenir pilote commercial, voire ATC5.
Malheureusement, il faut obligatoirement faire des études scientifiques ; un bac scientifique suivi de deux années de prépa à l’ENS, minimum. Pour être contrôleur, par exemple, il faut connaître les comportements de certains métaux subissant des contraintes physiques.
Ceux qui me connaissent le savent. Je suis une catastrophe ambulante pour tout ce qui touche aux chiffres en général. Donc un cursus en sciences, c’est de la pure fiction pour moi (et on laisse la science de côté).
Il me reste donc les simulateurs.
C’est déjà ça.
Il m’a pris, il y a quelques années, la passion du ciment décoratif.
J’ai vu des objets usuels ; pots, vases, même des assiettes, faits en ciment fin. Et des ameublements en béton ciré absolument superbes. Nous avons même résidé, en Grèce, dans une chambre d’hôtel dont l’essentiel de l’ameublement et des commodités étaient faits en béton ciré. Magnifique.
Donc, je me suis dit, pourquoi pas le faire moi-même ?
J’ai acheté du ciment gris et blanc, fin, des kilos de sable (trop grossier, mais que savais-je ?). Et j’ai commencé à patouiller.
Laborieusement, lamentablement. J’ai sorti un vague vase moulé dans une bouteille d’eau minérale. Pas grand-chose d’autre.
Parce qu’il me manquait les moules. Je n’avais pas pensé à ça, et je n’avais rien pour les créer. Je me suis rendu compte que —à mon niveau au moins— l’essentiel du travail était la conception du moule.
Et je n’avais ni la capacité, ni la place, ni les moyens de les faire. Et, au final, comme d’habitude, je n’avais plus la motivation.
Les sacs ont trainé des mois au fin fond du garage, jusqu’à un de nos petits sursauts de rangement par le vide qui m’a conduit à amener tous ces matériaux à la déchèterie.
Spoiler : non, charrier le sac de sable de 350 tonnes n’a pas ruiné mon dos.
C’est déjà ça.
Il a pris un jour à mes parents la saugrenue-mais-pourquoi-pas idée de m’inscrire au conservatoire de musique classique. C’étant dans les… heu… J’étais petit.
À cet âge, l’idée d’une activité parallèle à l’école relève, dans l’esprit simple de gamin que j’étais, à un loisir. Or, dans ce cas précis, il n’en a rien été. Le conservatoire est une école. Sérieuse. Avec des profs, cours, des exercices, des notes…
J’ai fait trois ans de conservatoire. La première année n’est dédié qu’à l’apprentissage du solfège. Ça s’est passé dans une salle toute en longueur, très haute de plafond et sans aucune chaleur. Mon professeur nous faisait faire des dictées de notes, assis contre le rebord de son bureau, devant nous. Il martelait le rythme à l’aide de la pointe de son stylo qu’il tapotait sur la surface du bureau.
Là où son stylo tapait, il y avait un cratère dans le bois. Combien d’années d’enseignement il faut pour creuser du bois à coup de stylo ? Je me pose parfois encore la question.
À l’issue de cette première année, on nous a demandé quel instrument nous désirions commencer à apprendre à la rentrée suivante. Je me suis rendu compte de deux choses à ce moment-là :
Et pour cause ; la plupart étaient des enfants issus de familles baignant dans la musique, ils avaient déjà une culture, un petit bagage qui leur permettait de répondre en toute confiance à cette question. Moi, pas.
Lorsqu’est venu mon tour, j’ai répondu du tac au trac :
La trompette.
Pourquoi ? À cause de cet enfoiré de Verdi et ses foutues Trompettes d’Aida. Je ne me rappelle plus comment j’avais découvert ce morceau, mais je l’adorais et l’avais en tête lorsqu’on m’a posé la question.
Je me suis retrouvé avec un cornet. Parce que, quand on est petit et qu’on débute, on a un cornet, pas une trompette. Loué par le conservatoire, un bel instrument argenté6. Je n’étais propriétaire que de l’embouchure et du lutrin à partitions.
Pendant deux ans, j’ai ahanné, soufflé, pfrrRRRrrté dans cet instrument de malheur, suivant les directives, conseils et encouragements d’un prof doté d’une belle gentillesse et beaucoup de patience.
Mais, ça n’a pas suffi. J’ai craqué et abandonné l’instrument, le conservatoire et la musique. Lorsque j’ai été rendre mon cornet au directeur du conservatoire, son seul commentaire a été :
De toute manière, vous n’aviez pas les lèvres faites pour un tel instrument.
Dommage qu’à l’époque je n’avais pas encore l’adulte curiosité de savoir si son anus était fait pour.
Ici, on place un hiatus d’une vingtaine d’années.
…
Paf, c’est fait.
Là où je travaille à ce moment-là de ma vie, l’un des loisirs de mon chef est de jouer de la guitare électrique dans un groupe de métalleux (je crois).
À force de discussions, il me pousse à toucher à nouveau à la musique, mais côté mauvais genre, dira-t-on. Oublions l’académisme du conservatoire, là c’est du fun.
Sauf que, moi, la guitare ce n’est pas mon truc. Mais, durant les 20 ans qui viennent de se dérouler, j’ai eu le temps de réfléchir7 à ce que j’aurai pu choisir comme instrument. Et la réponse s’est imposée à moi avec la brutalité d’un petit tas de neige qui fond au printemps.
J’aurais dû choisir la contrebasse.
Du coup, lorsqu’on m’a poussé à passer à l’électrique, ma réponse a été plus rapide : Z’veux jouer d’la basse !
Ni une ni deux, mon chef fouille les Bons Coins et autres sites du même genre et finit par me dénicher une belle basse cinq cordes d’occasion8. En plus de la basse, je me dégote un prof et, durant un an, je prends un cours chaque semaine.
Je ne vais pas vous tenir trop longtemps en haleine. J’ai aussi laissé tomber ça. Comment ? Pourquoi ?
À cause de deux choses ; d’abord, mon prof, geek musical agrégé, etc. est avant tout un geek et pas tant que ça un prof. Chaque séance se déroulait à peu près de la même manière ; on découvre, décortique et répète un morceau, en saucissonnant la séance de discussions oisives sur jeux, films, séries, etc. Puis, je rentre chez moi avec mes nouvelles tablatures et, à la séance suivante, on recommence sur quelque chose de neuf.
En fait, il ne me donnait pas d’exercices, et ne vérifiait jamais si j’apprenais, si je progressais. Donc, je ne progressais presque pas.
L’autre chose, c’est le fait de jouer seul. Je me suis régalé, et je me régale encore, de temps en temps, à faire ploink ploing sur ma basse, mais je n’y ennuie vite.
Or, je n’ai jamais eu l’occasion de jouer en groupe. Il y a eu des tentatives malheureuses, cependant :
Donc, à partir de ce moment-là, mon activité musicale s’est cloisonnée à entretenir l’instrument et, de temps en temps, me faire une séance sur Rocksmith.
C’est déjà ça.
Lorsque j’étais au collège, j’ai fait partie d’une petite troupe de théâtre montée par une prof de français.
C’est une activité que j’ai pratiquée durant deux ou trois ans (peut-être plus ?), et dont le pinacle fut une représentation du Médecin malgré lui dans laquelle je jouais le vieux Géronte, qui a été donnée au théâtre de la ville de Laon10 devant une salle quasi pleine.
Ce sont de merveilleux souvenirs, et une frustration de ne pas avoir continué.
Pourtant, la fibre acteuse me titille encore, régulièrement. Pourquoi n’ai-je pas continué ?
Je mets cela sur le compte de deux choses ; la première est ma fainéantise complète et naturelle, celle qui me pousse à dire, comme excuse : «Ah bah oui, j’ai pas le temps, je peux pas tout faire…»
La seconde, c’est que je suis très très fainéant.
Néanmoins, depuis que j’ai intégré l’école dans laquelle je forme des étudiants au montage et au motion design, je cherche et parfois provoque les occasions de faire le malin devant la caméra.
En effet, les étudiants de la filière audiovisuelle doivent, sur les trois ans de leur cursus, réaliser différentes productions, notamment des fictions. Donc, ils ont besoin d’acteurs. Donc, je suis là.
Pour le moment, je n’ai fait que très peu d’apparitions, mais je continue à me vendre comme acteur amateur bénévole ah la la la si ça vous dépanne moi ça m’amuse !
Mais ça, c’est quelque chose qui m’a titillé très tôt. À peu près au même moment que les premières velléités d’écriture. Et, peut-être est-ce la confusion parallèle des deux (pseudo) disciplines qui fait que je ne me suis jamais vraiment impliqué complètement, passionnément, centpourcentement dans l’une ou dans l’autre.
J’ai très tôt griffonné des bédés, en recopiant des choses à droite ou à gauche, ou en bricolant maladroitement mes propres trucs11. J’étais plutôt fier de ce que j’étais capable de dessiner. Ce qui m’a planté, c’est un énorme orgueil mal placé ; encouragé à l’époque, on m’a conseillé de prendre des cours pour aller plus loin.
Or, con que j’étais, j’ai eu cette réflexion qui, si je m’étais croisé adulte à l’époque, m’aurait valu de la part de moi-même un aller-retour de phalanges pour me remettre les idées en place :
Si on me félicite pour ce que je fais, c’est que j’ai pas besoin de cours pour m’améliorer.
On est con quand on est petit, hein ? Oui, oui, quand on est grand aussi.
J’ai ensuite continué, de temps en temps, par à-coups. Je me suis très souvent limité à quelques cases, à des strips à l’américaine, mais presque jamais rien qui passe la simple page.
Mes œuvres les plus notables dans la matière doivent encore exister chez un quelconque collectionneur psychopathe qui aurait trouvé l’idée formidable de conserver les numéros du « Scoopalognion », le journal un peu pirate auquel j’ai participé lorsque j’étais au lycée du Noordover à Dunkerque.
Bref, j’ai continué et je continue à dessiner, mais j’ai fait une croix sur la bédé12, avec parfois quelques exceptions accidentelles, comme ce « Polyphène Hécatonchyre » composé à l’ancienne sur un tout petit carnet durant un récent séjour en Grèce.
C’est déjà ça.
Oh, j’en ai fait, des dessins, et j’en fais encore. J’ai même accumulé, au fil du temps et des rencontres avec de vrais dessinateurs, un matériel relativement conséquent.
Mais, même si je m’en sers parfois pour mon activité pro et que j’ai même été sollicité à deux reprises, je ne suis pas, mais alors pas du tout un dessinateur pro.
Étrangement, c’est peut-être l’un des points de cet état des lieux pour lequel je nourris le moins de regrets13. Et, par conséquent, c’est l’activité non professionnelle de cette liste que je continue à pratiquer de temps en temps.
C’est déjà ça.
J’écris depuis longtemps. Comme en témoigne l’archive picturale ci-dessus, je gratte et barbouille du papier depuis que j’ai une dizdouzaine d’années. Et pourtant, je n’ai pas dirigé mes études vers la littérature. Pourquoi ?
Contrairement au dessin, je pense qu’il ne s’agit pas d’un orgueil mal placé, mais d’un manque de guidage et une envie irrépressible de « faire de l’image qui bouge ». En effet, je voulais devenir le nouveau Spielberg14.
Pour vous dire à quel point j’étais engagé dans la bonne direction, j’ai découvert seulement à la lecture du Lièvre de Patagonie de Claude Lanzmann que l’école nommée Khâgne et son Hypokhâgne n’avait rien à voir avec les mathématiques ou les sciences physiques.
J’aurais aimé tenter cette école. Aurais-je eu le niveau ? Peut-être que si j’avais eu une idée, une connaissance de ce parcourt, je me serais donné les moyens d’y arriver ? On ne le saura jamais…
Néanmoins, j’ai quand même continué à tapoter du caractère, que ce soit à coup de stylo, de machine à écrire, ou plus récemment de clavier ergonomique qui cliquète sa mamie.
Je fais, depuis peu, une nuance peut-être très personnelle entre le terme auteur et celui d’écrivain.
Pour moi15, l’auteur écrit d’une manière générale. C’est la qualification d’artiste qui écrit.
L’écrivain, en revanche, en a fait son métier. C’est là toute la nuance.
Alors, oui, grâce à des gens comme Olivier Gechter, Sandrine Scardigli, Alex Nikolavitch, Ketty Steward, Georges Foveau et quelques autres16 qui forment mes amitiés en écriture, j’ai depuis quelques années, admis que j’étais un auteur, pour de vrai.
Mais, pas un écrivain. J’ai quelques publications à mon actif (très fier de la dernière d’ailleurs, où pourtant j’ai quasiment rien écrit), mais je ne suis pas encore capable de produire de manière régulière et disciplinée.
J’écris comme je suis venu au monde ; en hurlant et en donnant des coups de pied partout17.
Là encore, c’est un point sur lequel je n’ai pas tout à fait mis une grosse croix rouge à coup de Posca de graffeur.
Bien sûr, je ne ferai jamais carrière comme écrivain, essayiste, journaliste, bibliothécaire ou une quelconque autre discipline littéraire qu’on peut embrasser à l’issue d’une école telle que Khâgne.
Mais je continue à écrire, et je pense le faire tant que j’en ai les capacités physiques et mentales18.
J’écris seul, avec des projets plus ou moins ambitieux, des finalités diverses. J’écris avec l’ami Olivier sur les Archives, mais pas que, j’écris avec l’ami Georges pour Dark Rooms, mais pas que…
Je suis productif, je m’impose quelques exercices plus (Writever) ou moins (NàlC) réguliers, mais je n’ai pas encore trouvé une hygiène, une routine, une sévère autodiscipline d’écriture, et c’est vraiment là-dessus que je ne peux pas encore considérer cette ambition comme accomplie.
Mais, finalement, c’est déjà ça, et c’est franchement pas mal, non ?
Je suis nul en maths, je vous dis pas…↩︎
Non, les navions effilés qui vont supervite et tirent de gros missiles partout ne m’intéressent pas du tout.↩︎
Si je ne dis pas de bêtises, j’ai commencé à réellement voler sérieusement sur FS95.↩︎
J’ai un Thrustmaster 3D qui doit avoir pas loin de 20 ans. Toujours fidèle, mais imprécis et ergonomiquement peu adapté au pilotage civil.↩︎
ATC : Air Traffic Controller, contrôleur aérien donc.↩︎
J’en voulais une dorée. On m’a dit qu’à mon niveau on n’exprimait pas ce genre de choix esthétiques.↩︎
Parfois, hein. Je n’ai pas fait que ça non plus.↩︎
Mais pas n’importe laquelle ; elle m’a été vendue par le professeur de percussions du conservatoire de Marseille. La bouclébouclé, en quelque sorte.↩︎
Paradoxalement, je sais encore (à peu près) lire une partition, mais j’ai appris ma basse sur des tablatures, et je ne suis pas assez avancé pour corréler les deux.↩︎
Bah, vouis, encore.↩︎
Je vais vous épargner des exemples, par charité psychologique, et parce que je n’ai vraiment rien gardé. Quelques éclats de souvenirs, façon échardes dans le cerveau, me suffisent…↩︎
En tant que dessinateur. Je ne désespère pas d’écrire un jour un scénario, par contre.↩︎
Avec la sculpture de ciment. Parce que bon, honnêtement, hein…↩︎
Spoiler Alert : Ça n’est pas arrivé.↩︎
Mais ça n’engage que moi, et je ne partage pas cette réflexion, et je ne vais pas en discuter avec les coupeurs de sémantique en quatre.↩︎
J’ai oublié de te citer ? Tu m’en vois désolé. Viens à ma porte m’insulter et on va prendre une bière ensuite, parce que j’ai un peu besoin d’interactions sociales en ce moment.↩︎
Cette maxime me sert souvent et s’applique à tout et à n’importe quoi. Par exemple : « Je joue aux échecs comme je suis venu au monde (…) »↩︎
Des conditions particulières s’appliquent. Voir les Conditions Générales d’Utilisation livrées avec le modèle correspondant.↩︎