Mercredi 3 février - Temps clair, 11° - 6228 mots
Tout ne peut pas fonctionner parfaitement tout le temps. On appelle ça l’entropie ou la théorie du Chaos. Ça n’est pas la même chose, mais le résultat est le même au bout du compte : un truc qui marche ne marche pas éternellement. Ça coince un jour ou l’autre. Et c’est vrai pour tout.
Par exemple le roman. Deux chapitres écrits très vite dont les premiers jets —d’après mon premier relecteur en qui j’ai toute confiance— sont bon. Et le prologue, que j’avais chronologiquement commencé à écrire en premier avait été stoppé net à quelques trois cents mots, a été reprit et complété aujourd’hui. Verdict du relecteur : c’est artificiel, ça gâche inutilement quelques surprise et ça n’apporte rien. Résultat, le prologue passera sûrement à la trappe. Jamais deux sans trois, mais on peut inventer également un autre proverbe : certainement deux sans zéro…
Mais le pire avec l’entropie et le chaos, c’est l’informatique. L’informatique est née du chaos, respecte à la lettre les règles de l’entropie, et a envahis notre quotidien avec une telle efficacité et un tel aplomb que c’en est effrayant.
Pour faire court, on ne peut plus s’en passer, mais ça ne sert fondamentalement à rien. Gagner du temps ? Vraiment ?
Réfléchissez-y.
Prenons l’exemple sans doute le plus courant, celui de la rédaction d’une lettre. Avant, vous preniez un bloc, rédigiez un brouillon, le faisiez relire, repreniez votre bloc, y glissiez un support ligné pour écrire droit, rédigiez votre lettre au propre, relisiez, enveloppiez, trimbriez et postiez. Soyons large, disons entre un quart d’heure et une demi-heure.
Et avec l’informatique ?
Ouvez Word (je reste généraliste). Choisissez un modèle de lettre-type. Commencez à écrire. Le modèle ne va pas, on ferme et on en choisi un autre. Recommencez à taper. Toutes les deux phrases vous vous arrêtez pour faire un clic droit sur le mot que le correcteur a souligné en rouge. Une fois sur deux, c’est une suggestion idiote.
Au bout d’un ou deux paragraphes de tant de coupures vous avez du mal à reprendre le fil de votre lettre. Vous relisez donc depuis le début, et reprenez votre rédaction. Je suis généreux et vous avez de la chance : vous arrivez en fin de votre prose.
Maintenant vous reprenez depuis le début, en ajustant qui telle tabulation, qui tel interligne. Et vous vous appercevez que la césure coupe des mots où il ne faut pas ou que l’interlignage fait passer la fin de votre lettre à la page suivante pour deux malheureuses lignes.
Et croyez-moi, selon votre expertise en mise en page et la chance que vous avez, ce manège peut prendre un temps fou. Vous avez fini ? Vous êtes satisfait de votre lettre ? Alors sauvons-là.
Mais sous quel nom ? Et où ? Vous voilà crédité de pas mal de minutes à vous y retrouver dans l’organisation de vos répertoires et sous-dossiers. Mais il est sauvé.
Maintenant il faut l’imprimer. Soit vous êtes dans mon cas et vous avez une chouette imprimante à économie d’énergie qui s’allume toute seule quand elle est sollicitée, soit vous avez l’imprimante remisée là où elle ne dérange pas. Dans le premier cas, une minute maximum et votre lettre est tirée. Dans l’autre, il faut la sortir, tirer les câbles, les brancher, trouver où on a mis la ramette de papier, allumer l’imprimante, charger le papier, attendre qu’elle chauffe…
Là, nous sommes dans une fourchette entre une et dix minutes. Et je suis bon prince, je vous épargne le soucis de la mauvaise surprise : les marges de l’imprimante sont plus larges que celles du traitement de texte, ce qui fait qu’à l’écran votre belle mise en page devient un n’importe quoi sur deux ou trois pages une fois imprimé.
Allez, soyez franc avec vous-même et faites le calcul. La différence est monstrueuse, n’est-ce pas ?
Mais c’est vrai… qui lirait ce blog si nous en étions encore tous au papier et au stylo ?