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« Chimie, iono, gaz du sang… »

Le 20 décembre 2011 vers 19h,

à gare TGV d’Aix-en-Provence, j’ai dévalé le quai avec mes trois sacs mal équilibrés pour réussir à monter dans le train qui allait m’amener passer ce Noël en famille dans le Nord. Une douleur incroyable m’a coupé le corps en deux au niveau du bassin, répercutée tout le long de ma jambe droite.

Je venais de me déclencher une hernie discale (L5-S1) que j’allais traîner avec des hauts et des bas pendant un peu plus de deux ans. Je ne vais pas retourner sur ces deux années de relative souffrance1 mais plutôt vous faire part de l’acte final de cette histoire : l’hôpital.

Suite au dernier examen IRM fait en septembre 2013, mon médecin et moi avons décidé que, puisque le noyau de la hernie ne montrait aucun signe de résorption, il ne restait plus beaucoup d’autres choix que d’opérer. J’ai appelé la Timone et demandé un rendez-vous avec le professeur Metellus, rendez-vous fixé le 29 janvier 2014.

Malheureusement, ma hernie —qui jusque là m’avait gentiment laissé tranquille— en a décidé autrement en me bloquant à nouveau ; sciatique en feu, difficultés à marcher et même l’assise était inconfortable. Je suis retourné voir mon docteur qui a constaté une perte de 10° d’amplitude au lever de jambe et l’apparition de paresthésie aux doigts de pieds.

Inquiété par le fait que ma hernie devenait paralysante, il m’a arrêté, interdit de voiture, donné ce qu’il pouvait me prescrire de plus fort en matière d’anti-douleur et appelé lui-même la Timone pour avancer le rendez-vous. Celui-ci du 29 janvier fut déplacé au sur-lendemain.

Passage au 5ème étage du C.H.U. de la Timone, service du professeur Dufour. Le professeur Metellus me reçoit en consultation. C’est un homme massif, peau sombre, calme, peu souriant, presque froid. Il est néanmoins connu et reconnu par la profession pour être un excellent spécialiste du cerveau et un pionnier de la chirurgie éveillée du cerveau.

La consultation est brève ; il me pose quelques questions assez anodines, jette un œil à mes examens, me demande quand je souhaiterais être opéré («Le plus tôt possible, monsieur.»), dicte d’incompréhensibles marmonnements dans son micro, et me raccompagne au secrétariat. Où j’apprend que la date de mon opération a été fixée au 29 janvier. Rigolo, non ?

Bref, un peu moins de trois semaines à attendre.


Mardi 28 janvier

Conduit par ma Douce, je me rend à l’hôpital public de Marseille, la Timone. 5ème étage, celui de la Neurochirurgie. Mon admission doit se faire à 15 heures. Je suis en avance parce que ma Douce a un stage sur Marseille et m’a déposé avant d’y aller.

Sachant que mon séjour sera sans doute composé essentiellement d’attente2, j’ai prit mes précautions. Néanmoins comme on m’a un peu fait peur quant à la sécurité dans cet hôpital, je suis venu sans rien qui ne vaille le coup d’être volé ; pas de téléphone, pas de 3DS, pas de liseuse. Juste un livre (Les Enfants du capitaine Grant tome 1, de J.Verne) et un carnet de mots croisés acheté à la sauvette à la petite boutique dans le hall de l’hôpital.

Je ne profiterais pas beaucoup de ces mots-croisés ; je n’ai pas fait gaffe et j’ai prit un niveau 1. Autant dire que je pouvais en remplir une page en moins de 5 minutes et chaque page ressemblait en matière de définition à toutes les autres. Barbant.

Autant les consultations sont généralement bien organisées, autant le secrétariat lui-même fonctionne bizarrement. L’accueil des consultations est un guichet occupé par deux ou trois infirmières qui guident et renseignent facilement les gens. Le secrétariat est une porte muette où il faut frapper, demander si on peut entrer et neuf fois sur dix vous vous faites rembarrer à peine poliment par une secrétaire débordée. Le bureau se trouve au milieu d’un couloir sans moyen de s’asseoir à proximité. J’ai dû attendre mon tour assis à même le sol.

Une fois enfin équipé de mon dossier, on m’annonce que l’étage n’a plus de lit disponible, et que je dois me rendre au service ophtalmologie, à l’extérieur, où je serais logé jusqu’à mon opération. J’ai eu un peu de mal à trouver l’entrée du bâtiment, mais après quelques détours, me voici enfin dans une chambre où se trouvent deux lit. Premier arrivé j’ai le privilège de choisir le mien, et je prend donc celui près de la fenêtre. La chambre est claire, propre, spacieuse. La vue de la fenêtre n’est pas folichonne mais rappelons-nous que c’est un hôpital et pas un hôtel.

À peine installé, une infirmière vient me poser un tombereau de questions administratives, puis une autre me fait une prise de sang. Enfin, une troisième vient m’apporter le nécessaire pour le lendemain : la tunique opératoire, la charlotte et les chaussons, et le flacon de bétadine. Celui-ci va devenir mon compagnon de douche pour quelques jours. La consigne est que la veille et le matin du jour de l’opération, il faut se savonner des pieds à la tête de bétadine, qui est un antisceptique. Rien à voir avec du savon, mais je m’attendais à plus désagréable.

Un peu plus tard dans l’après-midi apparaît mon premier voisin de chambrée ; un monsieur âgé d’une dizaines d’années de plus que moi, chirurgien-dentiste de son état. Aimable et cordial, sans plus. Il sera opéré le lendemain, comme moi, pour tenter de résorber l’ouverture d’un canal médullaire. Il ne sera pas opéré dans le même service que moi car, dans son cas, c’est un radio-chirurgien qui va opérer via endoscopie.

Rien de notable ne marque le reste de la journée. Premier repas, le soir, qui est une caricature de plateau d’hôpital ; fagot de haricots verts, tranche de jambon, demi-cuillère de taboulé, kiwi et yahourt. Douche à la bétadine avant de se coucher, Dodo, difficilement.


Mercredi 29 janvier

Réveillé en fanfare par les infirmiers. Branle-bas de combat, c’est le jour J. On se prépare ; re-douche à la bétadine, pas de petit-déjeuner (il faut être à jeun à partir de minuit la veille), on enfile ces incroyables tuniques opératoires (bras et fesses à l’air, très seyant), on avale nos trois gélules d’Atarax3 et on se remet au lit en attendant les brancardiers.

Quelques minutes plus tard, on vient chercher mon voisin. Moi j’attend. On me dit que je vais passer en troisième position. Je demande ce que cela signifie, et on me répond que ça ne veut pas dire grand-chose ; les opérations en neuro-chirurgie sont très variées, et peuvent durer de quelques dizaines de minute à plusieurs heures. Je serais le troisième à occuper le bloc, mais impossible de me donner une heure.

J’attend, et les Atarax commencent à faire leur effet. Je finis par m’assoupir, le Jules Verne en vrac sur le ventre. Le temps passe, mais j’ai du mal à suivre. Une heure après leur injection les cachets m’ont complètement shooté.

Dans mon coton, j’entend pourtant quelque chose de singulier ; un hélicoptère survole le bâtiment, semble tourner autour et finalement s’y pose. J’enregistre l’information et je replonge dans mon coton, Pas très agréable, ce coton d’ailleurs, j’en suis presque malade. Vous connaissez sans doute tous l’état dans lequel on peut se réveiller au lendemain d’une monumentale cuite ? L’Atarax m’a fait le même effet, les nausées en moins.

Je suis donc resté dans mon coton juteux (j’ai énormément sué) jusqu’à 18 heures, heure à laquelle un interne est passé me voir pour m’expliquer qu’il était désolé mais que le service avait dû prendre en charge un cas d’accident grave et que par le fait on avait décalé les passages au bloc. Je n’avais donc pas rêvé l’hélicoptère.

Et, comme si tout se déclenchait au même moment, j’ai commencé à émerger de ma torpeur artificielle, on m’a amené un nouveau voisin, un goûter, et ma Douce est venue me rendre visite, m’apportant ce qui devait tromper mon ennui après l’opération. L’ironie est que l’Atarax m’avait tellement bien shooté qu’elle a cru à mon état que j’étais effectivement passé au bloc.

Qu’à cela ne tienne. Remettons tout cela au lendemain.

J’ai du coup fait connaissance avec mon nouveau voisin. Un homme à peine plus âgé que moi, souffrant de problèmes assez sérieux au cœur, mais ici pour être opéré d’un kyste dans la même zone que moi. Une compagnie pas désagréable, mais c’est un bavard invétéré qui ne m’a pas laissé beaucoup d’autre loisir que de l’écouter. Ça fait passer le temps.

Et rebelote : douche à la bétadine et à jeun à minuit.


jeudi 30 janvier

Cette fois, même si je me suis préparé (douche bétadineuse, tunique ridiculeuse, etc…) la nouvelle est tombé tôt, vers 9 heures, et m’a épargné l’ingestion de l’Atarax. L’interne de la veille est à nouveau passé et m’a annoncé la mauvaise nouvelle.

Du coup, je me suis rhabillé «normalement» et je me suis régalé avec le petit-déjeuner qu’une infirmière m’a amené. Mon voisin n’a, lui non plus, pas été emmené. Et, forcément, nous nous sommes posé beaucoup de questions sur l’organisation du service. Mais comme nous étions des exilés dans un autre service, et surtout un autre bâtiment, nous n’avons pas réussi à en apprendre grand-chose.

Surprise, un peu après midi un brancardier débarque dans notre chambre et m’apprend que je suis transféré au 5ème étage, en neurochirurgie. Pour moi c’est un peu une petite victoire. Je me rapproche du bloc, en quelque sorte.

Alors même que je me suis rendu au service ophtalmologie à pied par mes propres moyens, c’est en ambulance couchée que je suis amené au bâtiment principal. Mon brancardier attitré m’amène ensuite (à pieds) jusqu’à l’étage et me conduit à ma chambre, numéro 583.

C’est la dernière du couloir, occupée également par deux lits. L’autre est attribué à un monsieur d’un bel âge (75 ans environs), ancien prof, ancien formateur de profs de sport, et esthète amateur. Un monsieur d’une gentillesse et d’une douceur, doublé d’une curiosité dans tout les domaines.

Je ne pouvais pas rêver compagnon plus intéressant, et grâce/à cause de lui, je n’ai touché à aucun de mes appareils de loisir électroniques tout au long de notre séjour commun qui s’est essentiellement passé en discussions à bâton rompu.

Et puis la nouvelle tombe avec la visite du soir de l’interne : le professeur Metellus doit s’absenter le lendemain. L’opération est à nouveau reportée au samedi. Au plus tôt. Peut-être. Je commence à douter…


Vendredi 31 janvier

Mon voisin de chambre sort aujourd’hui. Il a lui aussi été opéré pour corriger une voie de canal médullaire, il y a 8 jours. Mais il est maintenant en pleine forme et doit sortir à 14 heures. J’avoue être un peu triste. On sait ce qu’on perd, on ne sait pas ce qu’on va trouver à la place…

Cette fois, je fais chauffer la 3DS, la liseuse et même le carnet de notes que j’avais amené et sur lequel jusqu’à maintenant je n’avais fais que gribouiller quelques visages et silhouettes. Mais c’est vraiment pour tromper son ennui, et le cœur n’y est pas vraiment.

Le soir, la visite de l’interne ne m’apprend pas grand-chose. Encore désolé que Metellus n’ait pas été là. Ça va rentrer dans l’ordre, etc. Je lui demande si c’est pour demain : « Normalement, oui. »

On est pourtant à Marseille, pas en Normandie…

Qu’à cela ne tienne, on fait comme si.

Après le repas du soir et pendant la visite de ma Douce, le lit voisin jusque là inoccupé depuis le départ de mon papy philosophe, est investi par une dame qui attend son mari. Celui-ci est au bloc pour une arthrodèse ; retrait du disque endommagé et verrouillage des vertèbres entre lesquelles le disque a été retiré. C’est l’étape suivante que je risque si je ne prend pas soin de mon dos après l’opération.

Il est rentré au bloc à 16h et la pauvre finit par quitter l’hôpital à 21h passé, sans l’avoir vu. Je bouquinejoue encore quelques minutes après son départ puis j’éteins et tente de dormir.

Peu avant minuit, un branle-bas de combat me sort de ma semi-torpeur ; on remonte mon nouveau voisin. Au premier regard cela semble impressionnant ; quatre personnes entourent le brancard, dont deux en tenues opératoires, des perfusions, de l’agitation.

Mais finalement, l’opéré semble frais comme un gardon et l’agitation ne concerne que le fait de le mettre confortablement dans son lit. Une fois ceci fais, je profite que les infirmières soient encore là pour leur demander un petit truc pour dormir ; non seulement je me doute que mon voisin risque de ne pas beaucoup dormir, mais moi-même je me suis mis bêtement à cogiter et j’ai le cerveau chauffé à blanc.

Et, finalement, malgré un opéré de frais et un autre qui en a marre d’attendre de l’être, nous finissons tant bien que mal à traverser la nuit.


Samedi 1er février

Pas de difficulté pour se réveiller, après une nuit aussi légère. J’en profite pour découvrir un peu mieux mon voisin ; c’est un géant (ils ont dû lui enlever la barre de pied de lit pour qu’il puisse s’y allonger) aux allures de garçon-boucher. Originaire de Normandie, il s’exprime vite avec un léger accent amusant. Il s’avère vite très amical et drôle. J’avais un peu peur de ce qu’on pouvait m’imposer comme nouveau voisin, mais je crois que j’ai eu pas mal de chance.

À 7 heures, arrive la visite habituelle du service. Pour la première fois, je découvre le patron de l’étage, le professeur Dufour. Taille moyenne, cheveux gris-blanc bouclés, petites lunettes rondes, regard et bouche souriantes. Loin de la froideur de Metellus, il est immédiatement chaleureux et agréable.

Après s’être enquis de l’état de mon voisin et fait le point avec le sérail d’internes l’accompagnant, il passe à mon lit. Il me dit bonjour en me serrant la main et me demande comment je vais. Puis, il prend la planche accrochée a pied de mon lit et examine ma fiche.

Immédiatement son regard change. Il dit tout haut à l’adresse du groupe :

Mais, monsieur Corlaix attend son opération depuis quatre jour ? (et, tournant la tête vers l’interne le plus proche, il lui dit) On va peut-être ne pas le faire attendre plus, n’est-ce pas ?

Ce n’était pas une question.

À peine la troupe sortie, un infirmier déboule et me demande si je suis propre. Je le regarde un peu étonné et je lui répond que j’attendais qu’on me dise d’y aller. « Et bien allez hop ! On y va ! » me lance-t-il joyeusement.

Du coup, comme si c’était devenu une routine, j’applique à la lettre le protocole :

  • Je me champouine à la bétadine en insistant sur les zones suivantes : les cheveux, le visage et précisément le nez et la bouche, le cou, les aisselles, le pubis et le trouloulou, et enfin les pieds.
  • Je me sèche bien et j’enfile la tenue de bloc
  • J’ôte mes lunettes
  • Je me remet au lit
  • J’enfile la charlotte et les chaussons
  • J’attend…

En fait, le protocole n’a pas été respecté ; l’infirmière est venue me chercher alors que je sortais à peine de la douche. J’ai enfilé ma charlotte et mes chaussons sur la route. Route à vrai dire très courte car j’ai découvert que ma chambre, la dernière du couloir, jouxtait les blocs.

Autre rupture du protocole : alors que le 29 on m’a administré l’Atarax pour me laisser abandonné dans ma chambre, le jour où je pars au bloc on ne m’en a pas donné.

Me voilà donc sur mon lit, roulant le long de quelques couloirs avant d’être garé à côté d’un brancard où l’infirmière, passant le relais aux anesthésistes, m’abandonne.

Les deux anesthésistes, un homme et une femme, tout deux en tenue opératoire verte, se sont montrés plus que charmants. Ce sont à vrai dire les deux seules personnes que je serai amené à voir pour l’opération ; l’équipe de chirurgie n’arrivant dans le bloc qu’après l’anesthésie pratiquée.

Sur mon brancard, on me fait rouler jusqu’au bloc proprement dit. À ma surprise c’est une pièce plutôt petite. J’ai en tête le cliché de série américaine d’une pièce immense et spacieuse. Or là, le bloc est à peine plus grand que ma chambre. Je n’en vois qu’une petite partie, bien entendu, puisque j’y suis allongé.

À part quelques appareil aux fonctions inconnues de moi, je ne verrais du bloc que les deux lampes-fleurs et un bel écran plat qui me semble sur le moment incongru4.

L’anesthésiste me demande de dégager mes bras. Elle pose ensuite un champ sur moi, du cou aux pieds. Puis elle pose ensuite une espèce de couverture en plastique transparent qu’elle relie à un gros tube, visiblement pneumatique5.

Pendant ce temps son collègue m’installe le brassard pour mesurer ma tension et me colle au bout d’un doigt le capteur de rythme cardiaque. Et tout ceci se fait dans une incroyable bonne humeur, les deux n’hésitant ni à m’expliquer ce qu’ils font, ni à plaisanter avec moi, ni à me demander régulièrement si je vais bien.

Ensuite, la partie la plus désagréable pour moi ; la pose du cathéter. Et quand je dis désagréable, tout est relatif car l’anesthésiste s’est exécutée avec maestria.

Pendant qu’elle s’occupait de cette tâche, son collègue a commencé à me faire respirer dans le masque à oxygène. Contrairement à l’idée reçue et obsolète, l’anesthésiant n’est plus un gaz que l’on respire mais un produit injecté via le cathéter. Le masque à oxygène n’est là que par sécurité.

« Bon, on y va. » lance soudain l’anesthésiste. Je n’ai en fait, et malgré l’absence d’Atarax, aucune appréhension. Bizarrement, au moment où elle m’a dit cela, ma seule pensée fut : « Point de non retour. Je ne peux plus reculer. »

J’ai senti une agréable chaleur se répandre dans mon bras, comme si le soleil d’été touchait soudainement ma peau. Immédiatement après la tête a commencé à tourner légèrement. Et puis …

… je me suis réveillé en baillant, aussi reposé qu’après une bonne sieste digestive.

J’étais bien. Vraiment bien. Machinalement, j’ai remué les doigts de pieds. Tout répondait. Je me suis détendu et j’ai compris que c’était fait.

Et pour cause ; j’étais allongé sur le dos, jambes droites et tout allait bien. Aucun blocage en bas du dos, la sciatique avait disparue, les sensations tout au long de ma jambe droite étaient tout à fait normales. J’ai accroché un sourire qui a mis longtemps à s’en aller.

« Rebonjour ! » ais-je lancé à l’anesthésiste qui n’était pas loin. J’étais dans une autre pièce, contiguë au bloc, la salle de réveil. Encombrée de produits divers et de matériel de contrôle, c’était également le bureau des anesthésistes.

Il était presque midi. L’anesthésiste m’a alors expliqué que j’avais été opéré par le professeur Fuentès, que l’opération s’était très bien passée, que j’étais sorti du bloc depuis un peu plus d’une demi-heure, et qu’on allait me remonter dans ma chambre d’ici un quart d’heure.

Tout allait bien. J’étais content.

On m’a remonté dans ma chambre vers midi, en m’expliquant qu’il fallait que j’attende 16 heures pour boire de l’eau et 18 heures pour manger. J’avais encore une perfusion au bras qui m’encombrait un peu, mais je crois que les mots ont leurs limites pour exprimer mon soulagement.

J’ai passé le reste de la journée allongé, me reposant encore et encore, jouissant de ces sensations presque oubliées de liberté et de confort dans le tronc et les jambes.

À 18 heures coïncidèrent l’arrivée du plateau-repas et de la visite de ma Douce. Fort heureusement, car bloqué en position allongée, pas même le droit de relever le torse, le bras droit encombré de ma tuyauterie plastique, manger aurait été presque impossible si ma Douce ne m’avait pas donné la becquée. Tout simplement.

J’avais cependant le droit de me tourner (en faisant attention à garder tout le tronc solidaire) sur le côté dans le lit, en calant un oreiller entre les genoux. C’est dans cette position que j’ai dormi. Comme une marmotte.


Dimanche 2 février

Après une bonne nuit, un petit-déjeuner préparé par un aide-soignant dégourdi6, la visite des pontes (Dufour et Metttelus en même temps, c’était la fête !), le passage éclair et timide du professeur Fuentès qui voulait juste savoir si j’allais bien, j’ai vu arriver avec un plaisir redoublé l’infirmière et les aides-soignantes.

L’infirmière s’est d’abord occupée de retirer mon cathéter. Quel soulagement, on se sent tout de suite plus léger, plus libre. Non pas que ce soit lourd, mais toute cette tuyauterie qui s’entortille autour du bras et qu’on craint souvent d’arracher est tout de même bien encombrante.

Ensuite elle m’a expliqué comment j’allais me lever, en suivant une gestuelle précise pour ne pas se tordre le dos ni se vautrer lamentablement par terre, et m’a invité à le faire. À quoi je lui ai répondu que ça allait être volontiers, si elle me garantissait que ça ne la choquait pas de savoir que j’étais encore tout nu sous mes draps.

Une enfilade de slip plus tard, j’étais prêt.

On allonge la jambe du côté de la descente, on plie l’autre. On allonge le bras côté descente plaqué le long du corps et on enroule l’autre pour attraper le bord du lit, et, poussant sur la jambe et tirant sur le bras, on roule sur le côté. Une fois au bord du lit, on continue le mouvement jusqu’à ce que la jambe avec laquelle on a poussé se retrouve dans le vide. On la tend alors pour poser le pied à terre.

Ensuite, après avoir ajusté sa position, il ne reste plus qu’à pousser les bras pour se redresser (en gardant toujours le tronc droit et solidaire). Il ne reste plus qu’à se rétablir, pousser sur les cuisses et… on est debout !

Mes premières sensations furent étranges ; de brefs fourmillements le long des jambes, la tête tournant un peu. Les symptômes passagers d’une station allongée prolongée, rien que de très normal.

S’étant assuré que j’allais bien et que je tenais droit, ils ont alors entreprit de changer la literie et m’ont invité –si je m’en sentais capable– d’aller faire ma toilette. Se disant ils ont retiré les draps.

J’ai eu l’impression d’avoir partagé mon lit avec un massacre de film d’horreur. Toute la literie était souillée de brun-rouge. J’ai baissé le regard sur mon corps, c’était pire : j’étais encore couvert des traces et coulures de bétadine et autres fluides antiseptiques dont j’avait été copieusement arrosé durant l’opération. Tu parles si je me sentais capable d’aller me doucher !

Et c’est dans un lit tout frais, tout propre, le corps nettoyé et parfumé que je me suis allongé à nouveau, heureux de me sentir si bien. L’infirmière est revenue peu après pour refaire mon pansement et contrôler l’état de ma cicatrice.

À l’expression de surprise de mon voisin, je demandais ce qu’il se passait, et l’infirmière m’a répondu qu’il n’y avait aucun doute sur l’identité de la personne qui m’avait opéré ; la cicatrice fait à peine 1,5 cm de large. C’est la signature du professeur Fuentès, connu pour être si minutieux qu’il est capable de faire les incisions les plus petites possibles.

Même pas de quoi frimer sur la plage !

En a rigolé mon voisin.

Et, sans en abuser, en restant prudent, j’ai pu recommencer à me mettre debout. Indispensable pour manger…


Lundi 3 février

Rien de particulier.


Mardi 4 février

Ma vie durant les mois prochains sera rythmée de restrictions et prudences. Je n’ai pour le moment pas le droit de m’asseoir. Me pencher est naturellement exclu. Être debout et marcher se fait en toute liberté uniquement limités par ma fatigue (et c’est dire ce que j’ai perdu en muscles).

Je n’ai donc pour le moment que le choix entre être couché ou être debout. Je peux me baisser, mais uniquement en fléchissant les jambes ou en adoptant la position dite du « chevalier servant ». Cela dit, ce sont des gestuelles que tout un chacun devrait adopter. Il est dramatique d’attendre de s’esquinter le dos pour se rendre compte à quel point nous faisons n’importe quoi avec notre colonne vertébrale et comment nous déléguons trop de chose au dos alors que ce devraient être nos bras et nos jambes qui devraient faire les efforts.

Ainsi depuis ce lundi où je me suis levé, je mange debout (encore maintenant à l’heure où j’écris ces lignes) et je reste le plus clair de la journée allongé. Finalement, on s’y fait plutôt bien, quand on ne peut pas faire grand-chose d’autre.

Mon état étant plus que satisfaisant, on m’a rapidement confirmé que j’allais rentrer chez moi le lendemain.


Mercredi 5 février

Mon voisin et moi nous sentions si bien retapés après nos opérations respectives, que ce dernier jour a démarré en fanfare. En général nous nous réveillons assez tôt, suffisamment pour entendre arriver les infirmières pour la première tournée de soins.

Mais ce matin en particulier, elles nous ont fait sursauter, nous dormions à poing fermés.

Après ce pénultième petit-déjeuner, les soins, toilettes et changements de pansements, nous avons joyeusement empaquetés nos affaires, et nous avont tué le temps.

Plus on approche du terme et plus le temps se ralenti.

Plateau sans saveur, peut-être parce que nous savions que c’était le dernier ? Et puis, sans écouter la télé, nous avons parié sur qui allait être embarqué le premier. Ce fut moi, mais à quelques minutes près.

Et le retour a eu quelque chose d’étrange. Car, puisque il m’est interdit de m’asseoir et strictement interdit de monter dans une voiture, la seule alternative est l’ambulance couchée. C’est ainsi que je suis descendu dans le hall d’entrée de l’hôpital allongé dans une civière, puis chargé dans l’ambulance qui m’a ramené de Marseille à Puyricard.

Heureusement, comme toutes les personnes rencontrées depuis mon hospitalisation, les ambulanciers étaient des gens absolument charmants qui ont fait de la route du retour un moment sympa. Mais de me sentir bien, de me savoir capable de tenir debout et de marcher et d’être quand même obligé de voyager couché sur un brancard a quelque chose de désagréable.

Fin de cette aventure. Une autre m’attend, maintenant. Moins drôle, plus longue (un mois et demi minimum) : la rééducation. Mais c’est une autre histoire !


  1. Mais vous pouvez toujours relire quelques articles passés si vous en avez le courage : « On m’a drogué », « Mon infiltration s’est bien passé… », « Ma deuxième infiltration… », et « Ma hernie va bien… »↩︎

  2. Je ne me doute pas encore, hélas, à quel point ce sera vrai…↩︎

  3. Un décontractant permettant d’aborder la ligne droite vers le bloc opératoire en toute sérénité.↩︎

  4. Vous moquez pas, mais sur le moment j’ai vraiment pensé qu’il était curieux qu’ils puissent regarder la télé ici…↩︎

  5. Je n’ai vraiment aucune idée de la fonction de ceci.↩︎

  6. Il a été jusqu’à me bricoler des pailles pour boire au verre et dans mon bol de chocolat.↩︎

Dans les épisodes précédents… Nouvelle à la Carte n°1 In Slumberland
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