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Je hais les jeux d’argent

Sur plateformes portables existent deux types de jeux. D’un côté les jeux normaux et de l’autre les jeux socio-monétaires. Ou, pour utiliser un vocabulaire plus adapté et utilisé à volonté par les responsables de la deuxième catégorie : d’un côté les jeux qui se vendent et de l’autre ceux qui génèrent une monétisation.

On peut radicaliser encore plus : à ma gauche les jeux faits pour que les gens y jouent, à ma droite des produits faits pour ponctionner le maximum d’argent à la victime qui se retrouve engluée dans les rets d’une petite addiction.

Les jeux faits pour y jouer n’ont —sur le point du sujet de ce billet— rien d’original. Ce sont des jeux autosuffisants qui proposent une fois l’achat fait un produit fini et complet. Ces jeux sont à l’image de ceux proposés sur les autres plateformes (ordinateurs ou consoles), ils proposent au joueur une expérience de jeu qui ne nécessite rien d’autre que du temps et qui ne fournit que ce que le joueur y cherche ; plaisir et frustration dus à l’expérience de jeu.

Des titres comme Sworcery, Waking Mars, Granny Smith, The Room ou Uruzimé —pour ne citer que quelques titres de ma ludothèque personnelle— sont proposés à des prix allant de moins d’un euro à moins de quatre euros, et offrent la satisfaction de fournir un produit fini et complet à l’acheteur. Tout au plus se verront proposées quelques mises à jour parfois. Il est triste de constater que ce genre de jeux n’est pas le plus présent dans les catalogues de nos machines nomades.

Waking MarsWaking Mars

The RoomThe Room

De l’autre côté de la barrière pullulent les jeux dits sociaux ou de simulation de gestion. Quelques éditeurs se partagent cette niche particulière ; Kiwi (Monsterama, les Naufragés…), Pocket Gems (toute la série des Tap…), Game Insight (Airport City, My Railway, la série des My Country…).

Ces jeux dévoient également de grandes licences puisqu’on y trouve également et souvent des adaptations de films (Le Hobbit, Star Wars, Jurassic park…) ou de signatures connues (Disney, Lego…)

Les NaufragésLes Naufragés

Ces jeux se caractérisent par une mécanique absolument identique d’un jeu à l’autre. Elle consiste à faire croire au joueur que le jeu est totalement gratuit (et présenté comme tel sur le Google Play).

Les univers des jeux sont très disparates ; gestion d’un commerce quelconque, clone plus ou moins proche de Sim-City, aventure spatiale, survie après un naufrage, etc. Les variations sont infinies, ce qui est une gageure étant donné que le cœur du jeu est absolument le même d’un titre à l’autre.

Le principe est simple : le joueur doit exploiter et augmenter petit à petit son patrimoine (boutiques, maisons, attractions, etc.) offert en début de partie. Pour ce faire, il doit piocher dans un stock de ressources (argent, matières premières, points d’action…) qui se trouve en général être en apparence abondant au début.

Jurassic Park BuilderJurassic Park Builder

Le début du jeu est guidé par un tutoriel qui permet de situer les menus du jeu et d’entr’apercevoir les bâtiments et options potentiellement disponibles plus loin dans le jeu. Une fois le tutoriel achevé, le joueur n’est en général jamais livré à lui-même, mais se retrouve bombardé de missions aux prétextes divers (construire tel bâtiment pour telle raison, défricher du terrain pour découvrir tel trésor, etc.), leur succession et les conditions de réalisation sont organisés de telle manière que le joueur n’a jamais la possibilité d’organiser lui-même ses affaires comme ce serait le cas dans un vrai jeu de gestion, d’aventure ou de stratégie, comme ces titres prétendent être.

Airport ManiaAirport Mania

Le piège se déploie alors. Les ressources nécessaires à l’évolution du jeu et dont le joueur peut croire qu’il en dispose en quantité suffisante s’épuisent très très rapidement après les quelques premières missions.

Les premiers bâtiments ne coûtent pas cher et soudain le prochain —absolument nécessaire pour passer à l’étape suivante— consomme presque tout le pactole, ou les points d’exploration que l’on dépense pour défricher le terrain alentour tombent en un clin d’œil à zéro.

Et que vous propose alors le jeu pour continuer ? Deux choses. D’abord l’aspect social (viral même) : si vous ne vous connectez pas à Facebook ou à Twitter (mes suiveurs en ont fait les frais avec Airport City) et que vous n’assommez pas vos contacts d’invitations à télécharger eux aussi le jeu, toute une série de missions ou de récompenses vous est interdite.

L’autre sanction est financière. On vous pollue alors de propositions alléchantes du genre « Plus assez de ceci ? Profitez de 1000 unités pour 1 €99. Attention cette offre se termine dans 48 h ! »

Autre tentation : accélérer certaines étapes (très longues) en dépensant de l’argent.Autre tentation : accélérer certaines étapes (très longues) en dépensant de l’argent.

C’est un des principes que je trouve le plus pervers et condamnable. Sous couvert de gratuité, ces jeux sont en fait des puits sans fond. Car même si dans de très rares cas il est possible de se passer d’acheter des extensions de ressources.

Certains jeux utilisent une double monnaie ; un argent faible gagné à travers le jeu, l’autre fort se payant en véritable argent. Il faut savoir que réunir les conditions pour avancer se fera alors sur un temps très long.

Par exemple dans le jeu Airport City, la zone couverte par l’aéroport devient très vite trop petite. L’extension pour l’agrandir coûte 10.000 en petite monnaie, somme qu’il est possible de réunir après des heures d’attente (non pas de jeu, car vous ne pouvez rien faire d’autre que d’épargner). Si vous possédez des billets d’argent fort, elle ne coûte que 5 unités. Certes, vous pouvez avoir cette patience. Mais l’extension suivante coûtera 30.000 pièces, mais toujours 5 billets.

Autre exemple : les sabres dans le jeu Les Naufragés : l’Île Perdue servent à agrandir la zone de jeu et découvrir des trésors, thème principal des missions données. Vous commencez le jeu avec 20 sabres, et une fois ceux-ci épuisés, la seule possibilité pour continuer à jouer est d’en acheter.

Je trouve que le principe frôle la vente forcée. Sachez en outre que ces achats, qui se font pourtant via le Google Play, ne sont pas mémorisés. Si vous désinstallez le jeu ou le téléchargez sur un autre appareil avec le même compte, ces « bonus » ne sont pas récupérables.

La boutique du jeu. Notez les deux types d’argent en bas de la fenêtre.La boutique du jeu. Notez les deux types d’argent en bas de la fenêtre.

On pourrait se dire alors que ce ne sont que quelques euros (les offres allant en général de 1 ou 2 à près d’une dizaine d’euros) et que c’est à peu près la somme que l’on pourrait mettre pour un jeu normal. Mais combien de fois serez-vous prêt à verser cette somme petite en apparence ?

Si vous êtes prêt à dépenser 2 euros pour avancer de quelques niveaux, vous n’hésiterez sans doute pas à recommencer lorsque vous aurez à nouveau épuisé votre capital. Et sachant que ces jeux sont par essence sans fin, combien aurez-vous dépensé avant de vous lasser de votre jeu ?

Je pense, personnellement, que ces produits qui envahissent les catalogues logiciels pour nos appareils nomades sont pour l’utilisateur une réelle nuisance. Ils sont un modèle économique monétique redoutablement efficace pour ces éditeurs pour qui un jeu n’est réussi que parce qu’il va suffisamment polluer les réseaux sociaux et engranger des sommes satisfaisantes.

Pour la scène vidéoludique, c’est un écran de fumée qui parasite les véritables œuvres de créateurs dont le travail vise d’abord à donner un plaisir ludique avant tout. Enfin, le principe même d’appâter le joueur avec du soi-disant gratuit pour ensuite lui tordre la main pour qu’il paye pour jouer dénote à mes yeux une mentalité puante et malsaine.

Mais après tout, on peut se dire de manière classique que si ce modèle économique marche, c’est bien parce que suffisamment de gens acceptent plus ou moins volontairement de se faire extorquer ainsi que ces jeux sont toujours là, et de plus en plus nombreux.

Et vous ? Vous êtes plutôt amateur de bons vins ou drogué qui ne s’assume pas ?


Addentum :

Dorian, chroniqueur sur le site Jeuxvideo.com a fait une excellente (bien meilleure que la mienne) chronique à ce sujet :

Dans les épisodes précédents… Mes 16 pires films de S-F L’esprit des bois
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