Je connais Olivier Gechter depuis une sacrée poignée d’années. Je ne vais pas revenir sur notre rencontre et nos premières passes d’armes parisiennes. Vous n’avez qu’à convoquer en interview l’un de nous deux, ou précommander l’anthologie des 20 ans de Marmite & Micro-Ondes où nous dévoilons toute notre intime collaboration.
Car c’est de cela qu’il s’agit. Nous écrivons, à la fois ensemble et chacun de notre côté. Olivier, élevé et discipliné par des moines Shaolin, a eu l’autodiscipline suffisante pour produire deux romans à ce jour (Évariste et Le Baron Noir) et une pléthore de nouvelles publiées1.
Moi, de mon côté, je compte peu de choses intéressantes à mentionner à cause d’une production mue par un moteur diesel soviétique des années 70 et fortement calaminé.
Néanmoins, nous avons depuis longtemps une production commune, parfois visible (Flamma, MéMo…), parfois audible (Les Archives, De nos Nouvelles…), et parfois confidentielle, sous la forme d’échanges de bêta-lectures. Car oui, j’ai découvert l’essentiel de ses deux romans et de quelques-uns à venir avant tout le monde.
Un exemple assez cocasse de co-écriture qui fonctionne à merveille entre nous concerne les brèves constituants les Archives de l’Insondable et, plus récemment, les épisodes des Confinés, le spin-off des Archives.
L’écriture commune et/ou partagée des PFE2 remonte à 2009. À l’époque, on se contentait d’en écrire chacun de notre côté, de nous les faire relire et de les publier sur un blog quasiment telles quelles. C’étaient des textes brefs, très proches d’un aphorisme.
Lorsqu’en 2019, Dimitri a proposé de reprendre le concept et la base de ce qui existait déjà pour en faire un podcast, nous avons dû replonger dans le corpus écrit pour le réviser et en faire des versions lisibles à l’oral.
L’exercice –aussi intéressant est-il– a conduit à découvrir un phénomène étrange ; pour la plupart des textes, nous étions complètement incapables de dire qui, d’Olivier ou moi, en étions l’auteur d’origine. Notre écriture avait commencé à fusionner.
Il y a une semaine, à la suite d’une discussion avec quelqu’un menant une certaine maison d’édition3, je me suis vu remonter le moral et ma jauge d’envie d’écrire a décollé. En conséquence de quoi, je me suis mis en devoir d’exhumer, rassembler, collationner, copiacoller, trier, paniquer et surtout réviser et réécrire mes Contes Grecs4.
J’ai donc plongé dans mes archives mon bordel pour rassembler carnets et tapuscrits concernant ce projet. Spoiler : j’ai tout retrouvé, sauf un premier jet, posé quelque part dans un moleskine format A5 que je ne parviens pas encore à localiser.
Parmi tout ce cafoutche de papèterie, j’ai mis la main sur un tapuscrit de quelques pages, sans date, sans nom, sans rien d’autre qu’un titre et le texte. Ce texte était copieusement annoté de ma main.
Le titre me disait vaguement quelque chose. J’ai, du coup, entrepris de fouiller les tréfonds de mes disques durs, où se trouvent disséminées des archives de textes5 à la recherche du fichier correspondant. Si je l’avais imprimé, je devais avoir la source. Mais, en fait, non. Introuvable.
Relisant en diagonale et déchiffrant certaines annotations, et malgré une ignorance crasse sur quand et sous quelle impulsion j’avais pu écrire ça, je me suis dit que c’était dommage de ne pas le conserver.
J’ai donc entrepris de réécrire le texte. Prenant le tapuscrit comme point de départ et les annotations comme guides, je me suis mis à retaper ce texte burlesque.
L’histoire raconte comment le sorcier maléfique Irm est parvenu à gagner la guerre contre les gentils humains, nains, elfes, etc. dans une parodie des Terres du Milieu, pour se retrouver confronté à des syndicats d’orques, trolls et gobelins venus négocier de meilleures conditions de travail.
Tandis que je travaillais sur ce texte, j’en ai d’abord parlé à Dimitri, en lui racontant que c’était bizarre et marrant d’exhumer ce genre de textes et de le dépoussiérer. Puis, j’en ai également parlé à Olivier, lui expliquant à nouveau comment j’ai redécouvert cette nouvelle, que j’étais en train de la réécrire, et que j’apprécierai qu’il la béta-lise quand j’aurai fini.
Sa réponse fut : « Oui, pourquoi pas. Ça parle de quoi ? »
Je lui explique donc. Et je lui donne le titre6 :
Sa réponse fut la suivante :
Tu essayes de profiter de ma faiblesse pour me voler mes textes.
Après un petit échange à base de « Non, mais, tu plaisantes, ou pas ? », il finit par m’envoyer une photo…
Cette nouvelle était de lui, écrite aux alentours de 2007, publiée dans le Club Présence d’Esprit n°61 en décembre 2009, puis dans le Lanfeust Magazine n°221, éditions Soleil, juillet 2018.
Il me l’avait soumise à l’époque pour relecture, et c’est ce que j’avais retrouvé dans mes affaires.
Ça m’a fait rire, mais j’ai trouvé ça bizarre également. On connait tellement bien la manière d’écrire de l’autre qu’on en vient vraiment à ne plus savoir qui fait quoi. Nous avons atteint le stade où nos écritures se mettent à fusionner.
Je n’ai pas terminé la réécriture de sa nouvelle, du coup. Quelques heures de travail pour rien, même si –en se moquant– j’ai expliqué à Olivier que c’était dommage parce que ma version était sans doute meilleure que la sienne7.
Je vais revenir à mes Contes Grecs, du coup. Eux, au moins, j’en connais la paternité sans avoir à faire un test ADN.
En attendant, si vous voulez découvrir cette nouvelle dans sa version Gechter, vous pouvez l’écouter sur le podcast Vous aurez de nos Nouvelles, en cliquetant avec délicatesse sur le bouton ci-dessous :
Le Pouvoir Absolu n’est plus ce qu’il était (version audio)
Vous ne croyez pas que je vais vous les énumérer, hein ?↩︎
PFE pour Petits Faits Extraordinaires, le nom vernaculaire des histoires brèves constituant l’essence des Archives.↩︎
Éditeur lié à une certaine anthologie en devenir…↩︎
Si vous ignorez ce dont il s’agit, j’ose espérer que vous le découvrirez une fois le recueil publié.↩︎
Entre autres, y’a des choses, je vous dis pas…↩︎
Le trouvant trop long, je comptais en trouver un autre à terme.↩︎
On a beau avoir passé la 40aine tous les deux, on n’en reste pas moins des gamins, et je pense que le contenu des Archives en est la preuve la plus violente.↩︎