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L’initation au reiki

Un autre souvenir pas très joyeux

Le reiki est une discipline de soins non conventionnels par imposition des mains. C’est une pratique née au Japon vers 1919, dont le nom signifie « énergie vitale universelle ».

Je connais l’existence de cette pratique par le biais de ma tante. C’était une femme qui a vécu célibataire, une très grande partie de sa vie. Professeure au collège en allemand et français, c’était le membre de la famille que je considère à l’époque être le plus cultivé, et qui m’a enrichit de nombreuses façons, en me faisant découvrir de nombreuses choses à lire, écouter ou voir. C’est par elle également que je recevais les encouragements les plus motivants dans mes activités créatrices.

Elle était — pour comble de mon admiration — pilote privée, et m’a emmené un nombre incalculable de fois en vol, dans l’un ou l’autre des petits monomoteurs du club de Vitry-en-Artois.

En souvenir d’elle, je conserve sa carte, par nostalgie.En souvenir d’elle, je conserve sa carte, par nostalgie.

Bref, j’adorai ma tante.

Un jour, il y a maintenant une trentaine d’années 1, elle a annoncé la nouvelle à la famille. Ce qu’elle avait cru être au début un vilain zona s’est avéré être des cellules cancéreuses.

Elle a eu confiance, au début. Et elle a su nous embarquer avec elle dans son positivisme. La chose n’était pas virulente, et les progrès de la science…

Elle est passée par tous les stades. La chimio, bien entendu. Mais aussi toutes les solutions alternatives. Médecines chinoises, les plantes, les pensées positives. Je me rappelle qu’une fois nous rendant visite pour quelques jours, elle nous avait encouragés, avant de nous endormir, de visualiser sa maladie, et d’imaginer la faire disparaître.

Et puis, elle a découvert le reiki. Elle s’y est initiée, et l’a même pratiqué au moins une fois sur moi.

J’avais du mal à digérer, l’estomac lourd. Elle m’a proposé de m’allonger et a appliqué ses mains sur mon ventre. Elle m’a prévenue ; j’allais ressentir de la chaleur, c’était normal, c’était l’énergie du reiki qui se diffusait en moi.

J’ai ressenti la chaleur. C’était très agréable, très délassant. Et je me suis senti mieux. La magie avait opéré. Je ne vais pas dire que j’étais conquis, mais — tout sceptique rationnel que je suis — je me suis posé des questions.

Le temps avance, et moi, mon bac en poche, je pars m’installer à Paris pour mes études de cinéma. De son côté, ma tante s’accroche, continue de se battre, et de s’autosoigner par des mouvements de reiki matin et soir — entre autres.

Je ne sais plus combien de temps après être arrivé à Paris, deux, peut-être trois ans. Ma tante m’offre, pour mon anniversaire, un stage d’initiation au reiki2. C’était une aubaine, car un maître célèbre passait par la capitale et faisait une série de stages et d’initiations.

Loin des miens et loin de voir réellement son état, mon point de vue sur cette discipline magique s’était vraiment érodé depuis qu’elle avait gentiment calmé mes maux d’estomac. Ça ne m’intéressait pas vraiment.

Néanmoins, je n’avais pas le cœur de refuser un tel cadeau venant de sa part. Encore moins quand elle a ajouté que, du coup, je pourrais moi aussi lui donner de cette énergie.

Je me suis donc rendu à ce stage de reiki. Dans mon souvenir, je crois qu’il durait la journée. Le matin, on apprenait les mouvements, les positions («Mains à plat, pieds au sol. On ne croise ni les bras ni les jambes, au contraire on les colle au corps et on laisse les doigts joints») et différentes astuces. La seule chose que j’ai retenue (outre la citation juste avant), c’est qu’une fois le canal du reiki ouvert, il ne se refermait plus jamais, qu’on s’en serve ou non. C’est bien pratique.

L’après-midi, ce fut l’initiation. Chaque stagiaire passait individuellement devant le gourou maître. On s’assoit en lotus, face à face, sur de moelleux tapis. L’homme, râblé et rondouillard, habillé d’une combinaison kimono blanc virginal, devait avoir dans les 30 ou 40 ans. Des cheveux noir de jais longs et ondulés et une longue barbe encadrent un visage replet et souriant.

Wikipédia décrit l’initiation comme suit :

Le passage des niveaux est généralement payant, le « maître reiki » exécute un « rituel initiatique » ou « harmonisation » au cours duquel certains symboles seront appris à l’élève en fonction de son niveau, et un processus d’« équilibrage énergétique » sera « éveillé » et « stimulé ». Nita Mocanu explique que le maître doit « ramoner le canal » de l’élève, afin qu’il puisse diffuser cette « énergie cosmique ».

Dans mon souvenir, je suis installé devant lui. Il me demande de fermer les yeux et de ne plus bouger. Durant un laps de temps impossible à mesurer3, j’ai entendu le maître faire des gestes brusques ; je sentais les déplacements d’air autour de moi. Je l’entendais aussi aspirer bruyamment, expirer, etc.

Et, lorsque ses gesticulations furent terminées, il me dit que je pouvais ouvrir les yeux, et m’a donné l’accolade. Là, j’ai pleuré. J’ai littéralement éclaté en sanglots. Pourquoi ? Je n’en ai aucune idée. Peut-être tout simplement que pour un jeune homme qui n’est pas baigné dans les démonstrations d’affection, cette simple accolade a fait céder une digue cachée. Va savoir.

Ensuite, lorsque tous les stagiaires se furent fait « ramoner le canal », nous avons eu droit à une séance de questions et réponses.

C’est là que j’ai commencé à penser que je n’étais, finalement, pas là où j’aurai dû être.

Au début, les questions sont intéressantes. Elles portent sur la pratique commerciale du reiki ; les conseils pour ouvrir son cabinet, le matériel, les durées des traitements…

Puis, l’hôte du stage annonce, toute contente, qu’elle et un groupe d’initiés se sont rendus régulièrement à l’hôpital, au chevet d’une amie qui s’était cassé la jambe. Se relayant à son chevet, ils lui ont reikizé la fracture pour l’aider à se ressouder.

Je suis sceptique. Mais bon.

Puis, quelqu’un pose une question sur l’utilisation des pierres. Oui. Ça commence à parler de lithothérapie. Et moi, je commence à me sentir perdu. C’est quoi, le rapport ?

La goutte d’eau de trop sur la tête du bouddha, c’est lorsque quelqu’un commence à évoquer les invocations d’êtres de lumière et de ténèbres.

C’est à ce moment précis que j’ai décroché.

Le stage fini, je rendre à mon petit appartement, dans le XVe, complètement déboussolé par cette journée bizarre. Je suis initié au reiki et dépité par le gloubiboulga mystico-magique qui a entouré cette initiation.

J’ai dû, je pense, faire plaisir à ma tante en lui faisant quelques séances de reiki quand je rentrais dans la famille.

Bien entendu, ça n’a pas eu beaucoup d’effets. Son état a soudainement dégringolé, comme c’est souvent le cas avec cette horreur. La dernière fois que je l’ai vue, c’était un petit bout d’être humain, ratatiné, ne pouvant plus guère se déplacer, les bras enmomifiés à cause de sa peau qui ne tenait plus, quasiment aveugle, et qui me demandait de l’aider à guider sa main qui traçait des idéogrammes liés au reiki. Jusqu’au bout, elle s’y est accrochée.

Ma tante s’est éteinte dans sa soixantaine année.

J’ai remisé le reiki au fond de ma mémoire, dans une pièce sombre et inhospitalière où j’imagine entreposer les souvenirs qui me mettent mal à l’aise.

Et pourtant… pourtant, parfois lorsque je me sens vraiment mal, ce reiki parvient à ressurgir contre ma volonté.

C’est arrivé très récemment. Je suis rentré de ma visite annuelle à la famille dans le Nord avec une sinusite carabinée qui est descendue ensuite dans les bronches. Je toussais tellement que j’en arrivais soit à m’étouffer, ou à avoir la nausée. Mais, surtout, je toussais tellement tout le temps que je ne parvenais pas à fermer l’œil. J’ai accumulé en l’espace de deux semaines plus d’heures de veille que je ne l’aurai imaginé. Au point d’avoir parfois des débuts d’hallucination.

Mais, surtout, machinalement, je me suis surpris à poser mes mains sur ma poitrine, à vérifier que mes bras, mes jambes et mes doigts étaient bien joints, et à laisser le fluide énergétique s’écouler en moi.

Ça n’a, bien entendu, rien fait.

Mais, j’ai repensé à ma tante. Encore une fois.

Honnêtement, c’est loin d’être aussi joyeux que lorsque j’ai l’occasion de me remettre devant un simulateur de vol civil.

Là, c’est avec elle que je vole.

Reiki, en kanjiReiki, en kanji



  1. J’avais donc une quinzaine d’années…↩︎

  2. Je n’ai jamais su le prix de ce stage.↩︎

  3. Mais j’ai eu l’impression que ça durait quand même un bon moment.↩︎

Dans les épisodes précédents… On est con, quand on est petit ICO, le roman
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