Séance n°31 – 22 septembre 2023
Date: 22.09.2023 Tags: atelier, scribulerie Permalink: Scribulerie31 —
Lors de leurs pérégrinations spatiales ou multidimensionnelles, les participants découvrent trois ingrédients incroyables. Ils doivent les décrire (aspect, gout, parfum, effets indésirables…)
En vacances sur Delta Eridani Prime, je suis allé visiter les Grandes Halles qui ont la réputation d’être le plus grand marché de producteurs de ce cadran.
Et j’en ai eu pour mon argent ! Sa réputation n’est pas volée. S’étendant sur des kilomètres carrés, sur des dizaines d’étages et de sous-sols, et –paraît-il– sur une demi-douzaine de dimensions, il me faudrait sans doute plus d’une vie pour en faire le tour.
Au gré de mes déambulations, j’ai quand même repéré quelques ingrédients intéressants. Par exemple, j’ai trouvé ce régime de bananes temporelles en train de pourrir dans leur bac. D’ici deux à trois jours, elles devraient être à point.
À deux stations (oui, il y a même des lignes de métro), des nomades du Cercle intérieur proposaient leurs produits. J’ai évité de me pencher trop sur leurs légumes psychotropes, mais je me suis laissé tenter par un sac de graines de quinoa solaire. Bien employée, cette céréale me permettra peut-être de faire quelques économies de carburant. Il ne faudra juste pas oublier mes lunettes de soudure.
Au moment de repartir, j’ai été hélé par un poissonnier qui bradait une partie de sa marchandise. J’ai cru faire une affaire en lui achetant trois kilos de magnifiques carpes. C’est seulement une fois rentré que je me suis aperçu que c’étaient des carpes philosophes. Bon, tant pis. Je trouverai bien une idée pour les incorporer à ma recette.
Les ingrédients tournent entre les participants. Maintenant, il s’agit de créer une recette avec et donner un nom à leur invention culinaire.
Ingrédients fournis par Heilani :
- Œuf de la poule ou de l’œuf — blanc émaillé de rose, son intérieur est visqueux et constitué uniquement du jaune. Sa coquille, très friable, a le goût de fraise amère.
- Mousse chevelue — À cuire uniquement à 36,007° pour éviter toute intoxication mortelle. Très irritante, à ne pas manipuler sans protection. Goût proche de la cacahouète.
- Cuissot d’enfant bleu — Viande à la chair bleutée, très savoureuse et raffinée, à consommer de préférence saignante.
J’ai donné mes instructions. Ma brigade est d’attaque. Nos convives de ce soir ne vont pas en revenir, les papilles en ébullition.
Tout d’abord, nous allons monter la mousse chevelue en salade. Difficile à manipuler, elle requiert de méticuleuses précautions ; un four réglable au centième de degré près, et des gants en nanoKevlar doublés à l’amiante carboné.
Une fois disposée en couronne dans le plat, nous déposons en son centre l’œuf Delapoulouleuf. Il est disposé sur un élégant petit appareil qui a pour fonction de briser régulièrement la coquille, car elle a pour faculté de se reconstituer presque immédiatement. J’espère que nos invités sont au courant que c’est justement la coquille, et non l’intérieur qui est comestible.
Enfin, en accompagnement, j’ai proposé un tataki de joue de petit bleu. Cette viande, si caractéristique, se mêlera magnifiquement aux saveurs élaborées de fruits à coque de la salade, et de fraise pas mûre de la coquille d’œuf.
Malheureusement pour nos convives, étant donnée la législation locale, ils ne pourront pas déguster ce plat sans risquer une peine de prison à vie. C’est pourquoi je l’ai intitulé « L’Infinie Frustration ».
Les recettes tournent entre les participants. Cette fois, ils se mettent dans la peau d’un critique gastronomique pour parler de la dégustation de cette incroyable recette.
Sur une recette concoctée par Barbara
Mes amis, quelle joie ! Quel bonheur !
J’ai eu la chance de déguster la dernière création du maître œuvrant aux cuisines du célébrissime « Des Tables Attablées À Table »1. La création du maître a pour nom « Racines d’Ici & d’Ailleurs et son Ossabil à la Poudre de Celem ».
Une composition audacieuse et élaborée qui se présente comme un magnifique bourgeon floral géant, dont les pétales s’ouvrent langoureusement dès lors que le Celem tombe en pluie mordorée à sa surface. Une fois ce spectacle surprenant terminé, le parfum suave de la composition vous invite alors à voyager en esprit à travers une galaxie de sensations olfactives. Puis, on plonge son couvert dans le ragoût de racines mijotées à point durant des semaines. Et là, mes amis, là…
Là, je n’ai plus de mots pour décrire la flamboyance, la pâmoison gustative qui vous saisit alors. Au point qu’une seule bouchée suffit à changer votre vie. On ne désire même pas en prendre une seconde, de peur qu’elle ne puisse pas rivaliser avec l’extase papillesque qui vous a saisie. Une cuillère et tout après est fade.
C’est pour cela que je me dois de vous l’annoncer ici : ceci est ma dernière critique gastronomique. Je me retire, je pars m’isoler dans un monastère perdu. Adieu.
Addentum : Une information de dernière minute : notre éminent confrère semble avoir été la victime d’un empoisonnement indirect. En effet, lors de sa dégustation, un convive voisin s’est vu servir une carpe philosophe dont la cuisson n’a pas été correctement effectuée, et qui a contaminée une partie de la salle du restaurant. Nous vous prions d’accepter nos excuses pour cet inconvénient. Vous retrouverez sa chronique culinaire dès la semaine prochaine.
À ne pas confondre avec L’Étoile Étoilée etc. Ce vulgaire routier qui se prend pour… mais je m’égare…↩︎