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Une révélation

J’ai passé une journée en demi-teinte, hier.

Je suis arrivé fatigué mais volontaire au boulot. Malheureusement, la conjonction de demandes idiotes et mal présentées et la douleur que j’ai depuis quelques jours au bas du dos et qui me donne presque l’impression d’avoir le bassin paralysé quand je me lève après quelques minutes assis a rapidement fait évaporer ma jovialité.

Ajoutez à cela mon portable qui ne tient plus la charge (surtout lorsque je dois m’en servir) et le fait qu’il plante de plus en plus souvent n’ont pas arrangé les choses. Ma bonne humeur est revenue en milieu d’après-midi mais je ne peux pas qualifier cette journée de bonne.

J’ai quand même retrouvé assez d’énergie pour accepter de rencontrer mon ami Soungalo devant un verre en ville après le boulot.

Après avoir garé ma voiture à pédales aux Allées Provencales, je suis remonté à pied vers la place Richelme où nous avions rendez-vous. Après avoir remonté la rue Espariat, j’ai tourné dans la rue Aude.

À la hauteur du cabinet d’analyses médicales, je me suis fait héler par un SDF assi sur les marches et qui me lance gentiment et distinctement la question classique :

Vous n’avez pas quelques centimes ?

Automatiquement, sans autre réaction qu’un réflexe bien ancré, je répond « Non, désolé », et je continue mon chemin.

Et puis, tout en marchant, je me dis que ça ne me coûtais pas grand chose de m’arrêter et de regarder si j’avais oui ou non quelques centimes.

Encore quelques pas, et je me demande pourquoi je répond obligatoirement ça.

Qu’est-ce qui me fait répondre «Non» immédiatement et automatiquement ?

C’est pas quelques centimes qui vont me manquer alors même que dix minutes avant je venais de retirer de l’argent au distributeur. Une crainte d’agression ? Je ne suis pas un parangon de courage mais la rue n’est pas déserte et le gars en question n’est ni une demi-portion ni un poids-lourd, mais moi non plus.

Alors ? Qu’est-ce qui m’a fait répondre si catégoriquement non à ce type qui ne s’est montré ni grossier, ni intrusif, juste à me poser une question simple ?

Arrivé au coin de la rue, j’ai su quelle était la raison de mon comportement.

Je me suis arrêté, j’ai ouvert ma veste. Je me suis saisi de mon porte-monnaie et j’ai regardé ce qu’il y avait dedans. De la mitraille, certe. La plus grosse pièce devait être une cinquante centimes, mais au total il devait y avoir un peu plus d’un euro.

Qu’est-ce qu’un euro pour moi ? L’un dans l’autre pas grand chose. Je suis pas à un euro près, ni quand mon compte se porte bien, ni quand celui-ci se creuse dans les négatifs. Et pour lui ? Aucune idée mais c’est toujours plus que ce que je lui ai répondu.

J’ai fait demi-tour et j’ai redescendu la rue d’un pas décidé.

Il m’a regardé approcher. Bizarrement il me fixait.

Est-ce qu’il se souvenait encore du grand mec à casquette de velour qui lui avait lancé ce «Non désolé» qu’il doit entendre un nombre incalculable de fois par jour ? Ou plus simplement il se demandait pourquoi ce grand mec se dirigeait vers lui d’un pas double.

Arrivé à sa hauteur je l’ai regardé dans les yeux qu’il avait petits et plissés dans son visage buriné et marqué, mais qui pétillaient de vivacité et je lui ai donné la raison de ma réponse automatique :

J’ai dit que j’avais rien par réflexe. Mais je suis un sale con, parce que j’avais des sous.

Et j’ai déposé dans sa sébille toute ma monnaie.

Il m’a regardé avec un sourire et m’a répondu :

Bah, dès fois on pense à autre chose…

Il m’a dit ça d’un ton et d’une manière qu’on a pour pardonner une broutille à quelqu’un qui a la tête ailleurs. C’était gentil. Mais je l’ai détrompé :

Non. C’est un réflexe idiot. Je sais pas pourquoi je répond comme ça alors que c’est un mensonge. Faut que je change. Bonne soirée.

Et je suis reparti en lui faisant un geste auquel il a répondu en ajoutant un «Merci».

J’ai à nouveau remonté la rue. Vous croyez que j’étais soulagé ? Content d’avoir fait quelque chose de plus élégant qu’un simple «Non, désolé» ?

Certainement pas.

Parce que brillait dans ma tête l’évidence de mon comportement : Je suis un sale con.

Oh, pas toujours, pas tout le temps, pas dans tous les cas. Mais j’ai quand même des habitudes de trouillard égoïste. Et savoir cela tout en resassant, le temps d’atteindre mon lieu de rendez-vous, toutes (ou tout au moins beaucoup) les occasions que j’ai eu d’être sympa pour pas beaucoup d’effort et où j’ai répondu «Non, désolé», ça n’a rien d’agréable.

Mais je l’avais bien mérité. Après tout, c’est ma faute puisque je suis un sale con.

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